Session ordinaire de
1999-2000 - 83ème jour de séance, 196ème séance
2ÈME SÉANCE DU MERCREDI 10 MAI 2000
PRÉSIDENCE de M.
Pierre-André WILTZER
vice-président
Sommaire
La séance est ouverte à
vingt et une heures.
LOI D'ORIENTATION POUR L'OUTRE-MER (suite)
L'ordre du
jour appelle la suite de la discussion après déclaration d'urgence du projet de loi
d'orientation pour l'outre-mer.
M. Emile Blessig
- C'est le 19 mars 1946 qu'a été votée la fameuse loi sur la départementalisation
et il a fallu toute la détermination d'un Aimé Césaire et d'un Gaston Monnerville pour
l'arracher à un gouvernement qui y était hostile. Ce tournant dans l'histoire de
l'outre-mer a suscité beaucoup de liesse dans les départements concernés et levé bien
des espoirs car il marquait une rupture définitive avec l'esprit colonial et la
reconnaissance des domiens par la République.
Peut-on dire aujourd'hui
que les espoirs de 1946 n'ont pas été déçus ? Certes, la départementalisation a
permis d'accomplir des progrès significatifs en matière d'équipement, d'éducation, de
santé, d'économie ou de solidarité. Cependant, les besoins restent immenses et les
attentes sont légitimes. 45 % de la population des DOM a moins de 25 ans : quel
avenir pour cette jeunesse ? 15 % de la population est couverte, en qualité
d'allocataire ou d'ayant droit, par le RMI contre 3 % en métropole. Le taux de
chômage atteint 35 % et il y a près de 50 000 logements insalubres. Or,
malgré tous les efforts accomplis et les progrès enregistrés, la situation économique
de long terme ne s'améliore pas de manière significative. Notre rapporteur a rappelé
que le nombre d'érémistes ne cessait de croître, ce qui ne peut manquer de nous inciter
à rompre avec les habitudes anciennes.
La présente loi
d'orientation est-elle de nature à répondre aux attentes des habitants des DOM ? Si
elle comporte des avancées significatives en matière économique et sociale, elle reste
inutilement complexe, elle est incomplète et elle manque de visée prospective.
La complexité du
dispositif proposé est malvenue, alors que la demande de simplification des institutions
est générale. Qu'il s'agisse du congrès ou de la bidépartementalisation à la
Réunion, les structures envisagées sont lourdes et peu lisibles.
En matière économique,
l'exonération des charges patronales est bienvenue mais ses modalités de mise en _uvre
demeurent opaques : aujourd'hui encore, un lecteur peu averti ignore si les artisans
entrent dans le champ de la loi. Il conviendra de lever ces doutes car l'accessibilité du
texte répond à un impératif démocratique.
S'agissant des mesures
sociales, il est impératif que l'alignement sur la métropole fasse l'objet d'une analyse
préalable globale. L'alignement du RMI domien sur celui de la métropole pose par exemple
le problème du financement du logement social, alors que les besoins locaux restent
immenses.
C'est ensuite une
loi incomplète, en ce qu'elle n'aborde pas des questions essentielles telles que
l'assainissement des finances des collectivités locales cependant que nombre d'entre
elles ont dû être placées sous la tutelle des chambres régionales des comptes. Si des
mesures d'abondement sont envisagées, elles ne sont pas de nature à assainir durablement
la situation des finances locales des collectivités concernées. Comment des collectivités financièrement asphyxiées
pourraient-elles apporter leur contribution à un développement durable ?
Autre problème : la
fonction publique. Son poids est lourd pour l'économie. Les agents non titulaires
représentent 68 % du personnel des collectivités locales, mais leur titularisation
est pour celles-ci, compte tenu de leur situation financière, une épée de Damoclès.
Des adaptations seraient nécessaires ; on ne saurait agir à la hussarde, mais ce
thème ne doit plus être tabou.
Nous déplorons que les
mesures de soutien fiscal ne s'inscrivent pas dans la durée. Pourquoi avoir renvoyé
l'examen des dispositions de la loi Pons à un texte ultérieur ?
Quant à l'octroi de mer,
qui est une source de financement essentielle pour les collectivités locales des DOM, son
régime, qui a été modifié par la loi du 16 juillet 1992 à la suite d'une
décision du conseil des ministres européen du 22 décembre 1989, expire le
31 décembre 2002. Quelles sont les propositions du Gouvernement sur ce point
fondamental ?
Le projet est muet sur
les transports, au sujet desquels une ordonnance avait été prise puis retirée ; la
loi d'orientation était l'occasion de traiter de cette question.
Enfin, le groupe UDF
reproche à ce projet d'être dépourvu de perspectives. N'ambitionnant qu'un rattrapage
par rapport à la métropole, il ne tient pas suffisamment compte des spécificités
locales. Chacun des départements d'outre-mer doit s'ouvrir à de nouvelles coopérations
régionales ; il faut abandonner une conception centrée sur les rapports avec la
métropole. Comme le soulignait le rapport Fragonard, les DOM doivent être des pôles
d'excellence dans leurs zones géographiques.
Les fonds structurels
européens peuvent contribuer à la réalisation de cette ambition. Ceux qui sont alloués
aux DOM, qui étaient passés de 4,9 milliards pour la période 1989-1993 à
11,9 milliards pour la période 1994-1999, s'élèvent à 21,3 milliards pour la
période 2000-2006.
Certes, on constate en
France -métropole et DOM confondus- une sous-consommation des crédits
communautaires ; dans les DOM, cette situation est partiellement due à la situation
financière des collectivités locales, qui ne sont pas en mesure de dégager la
contrepartie nationale nécessaire. Je regrette que ce problème ne soit pas abordé dans
ce projet. Pour la période 2000-2006, il faut que la contrepartie nationale s'élève à
15 %, soit 3,195 milliards ; cela permettra de financer 24 milliards
d'investissements.
J'évoquerai en
conclusion une récente mission que j'ai effectuée à Fort-de-France, qui m'a donné
l'honneur de rencontrer, avec quelques collègues, M. Aimé Césaire. Un peu
lassé de la repentance, il appelait de ses v_ux une nouvelle espérance pour les
DOM. Ce texte de loi aurait pu être porteur d'un nouvel élan, en organisant une
décentralisation qui permette aux DOM de jouer un rôle dynamique dans leur environnement
géographique et de négocier les conditions d'application du traité d'Amsterdam et des
politiques communes dans les DOM. Ceux-ci ont besoin d'une plus grande autonomie
régionale et d'un ancrage dans l'Union européenne ; parce que ce projet ne répond
pas à cette ambition, le groupe UDF ne le votera pas (Applaudissements sur les bancs
du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).
M. Elie Hoarau -
Au moment où, en métropole, la baisse du chômage crédibilise l'ambition du
Gouvernement d'un retour au plein emploi au cours de la prochaine décennie, les acteurs
économiques renouent avec la confiance, l'horizon s'éclaircit pour la jeunesse, dans les
départements d'outre-mer les impasses se multiplient sur le plan économique, social et
culturel.
A la Réunion, avec un
taux de croissance de 5 %, on crée 3 500 emplois nets par an. Or chaque
année, plus de 10 000 jeunes arrivent sur le marché du travail. C'est dans ce
décalage et non dans l'atonie de l'économie réunionnaise qu'il faut chercher les
raisons de la progression constante du nombre d'inscrits à l'ANPE
-125 000 personnes, soit 40 % de la population active, avec une proportion
croissante de jeunes, de plus en plus diplômés.
Les perspectives sont
tout aussi sombres : selon une étude prospective parue ces jours derniers, il
faudrait trente ans pour ramener le taux de chômage à la Réunion à 27 % -taux qui
est aujourd'hui celui des Antilles. Vous comprendrez que le débat national sur le retour
au plein emploi paraisse surréaliste à nos populations...
Dans ces conditions, nous
ne bénéficions d'aucun sursis. Le temps est venu de répondre au défi de l'emploi et du
développement durable. La convergence du calendrier de la loi d'orientation avec la
signature des contrats de plan pour la période 2000-2006 et celle des documents de
programmation en matière de fonds structurels, ainsi que la définition des mesures
découlant de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam, sont une occasion unique de mettre
en _uvre des réformes audacieuses.
Les mesures
inscrites dans la loi d'orientation doivent permettre un renversement de tendances.
Certaines représentent un effort significatif ; mais elles ne seront efficientes que
si les aides publiques se traduisent par des créations effectives d'emplois. Nous avons
déposé des amendements pour prévenir toute tentative de contournement de la loi sur ce
point.
Pour qu'une stratégie de
relance de l'activité et de l'emploi réussisse, la réduction du coût du travail doit
aller de pair avec le soutien à l'investissement : nous veillerons à ce que les
prochaines lois de finances y pourvoient, notamment par une refonte du dispositif de
défiscalisation.
La combinaison de toutes
ces mesures s'impose dans les DOM peut-être plus qu'ailleurs. En effet, nos régions, qui
ont à affronter la concurrence des pays en développement, doivent aussi tirer tout le
bénéfice, pour leurs exportations, de leur situation dans les zones où les échanges
sont en forte croissance. Nous avons donc déposé des amendements en ce sens. Ainsi,
toutes les conditions doivent être réunies pour une meilleure insertion de la Réunion
dans son environnement régional, comme le permet l'article 299-2 du traité
d'Amsterdam : à nous, au Gouvernement et à Bruxelles d'y veiller !
Les mesures de ce projet
confiant des compétences nouvelles aux collectivités locales et leur donnant la
possibilité d'être associées aux blocs régionaux constituaient de ce point de vue un
nécessaire préalable. Les perspectives de codéveloppement sont considérables dans
l'océan Indien : les cinq îles qui comptent aujourd'hui 17 millions d'habitants en
auront 32 en 2025 et la population des cinq Etats d'Afrique australe regroupés dans la
SADC passera dans le même temps de 180 à 300 millions. C'est dans cet espace que
notre pays bâtira son avenir !
Le développement
économique suppose cependant une mobilisation de la population et celle-ci ne peut
s'appuyer que sur un sentiment de justice sociale, de responsabilité, de respect effectif
de l'identité culturelle. Or on ne peut concevoir de justice sociale si l'accès à
l'activité et à la dignité est refusé. La loi d'orientation comprend des mesures pour
l'emploi des jeunes et, de fait, il convenait de donner une forte impulsion à l'économie
solidaire et au mouvement associatif, cependant que notre situation démographique exige
de pérenniser les emplois-jeunes. Plus que jamais, à la Réunion, le développement est
subordonné à la réalisation de l'égalité sociale.
A l'article 11, nous
avions déposé un amendement pour que le RMI soit sans délai versé dans les mêmes
conditions qu'en métropole : on nous a opposé l'article 40 de la Constitution.
Il est regrettable d'en rester ainsi à des arguties juridiques, cinquante ans après la
départementalisation, et les Réunionnais comprendraient difficilement que cette mesure
d'égalité soit ainsi retardée.
De même, les employés
communaux continuent d'attendre un véritable statut. La question est pour nous
indissociable de celle de l'harmonisation des revenus et nous proposons donc la création
d'un observatoire des prix et revenus ainsi que, dans un premier temps, la suppression de
la prime d'éloignement versée aux fonctionnaires venus de métropole.
L'opinion réunionnaise
ne saurait enfin séparer la question du développement de celle de l'organisation des
pouvoirs publics et de l'aménagement du territoire. Le schéma d'aménagement régional a
posé la nécessité absolue de corriger les déséquilibres entre les quatre
micro-régions de l'île. Par ailleurs, nous devons nous préparer dans les 25 ans à
venir à un accroissement de 40 % de notre population. C'est pourquoi les
Réunionnais attendent dans les meilleurs délais une réforme administrative :
création de communes, de cantons et d'un deuxième département. Cet aménagement
harmonieux du territoire sera le support du développement économique.
De la prise en compte de
cette triple coopération au développement économique, à l'égalité sociale et à
l'aménagement équilibré de notre territoire dépend le succès de la démarche engagée
par le Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe
socialiste)
M. Dominique
Bussereau - Au cours du débat d'octobre 1998, j'avais souligné la nécessité d'un
grand dessein pour l'outre-mer. En effet, celui-ci offre à la France la chance d'être
présente sur tous les continents et de s'enrichir de valeurs multiculturelles et
multi-ethniques.
M. Henry
Jean-Baptiste - Très bien !
M. Dominique
Bussereau - Il nous faut donc une vraie politique de l'outre-mer. Malheureusement, ce
projet ne répond pas à l'attente, faute de souffle et d'ambition à la hauteur des
besoins pour le siècle qui s'ouvre.
Sur la forme
d'abord, je note qu'il abonde en mesures d'ordre réglementaire. Il n'innove certes pas
sur ce point, mais j'espère que le président Roman saura montrer autant de fermeté que
le président Mazeaud en son temps !
De plus, Monsieur le
secrétaire d'Etat, vous n'avez pas organisé de réelle concertation avec les élus ni
pris en compte les rapports des experts : d'où sans doute le rejet de ce texte par
six des huit assemblées locales.
Enfin, vous avez
travaillé dans l'improvisation : le Conseil d'Etat vous a donc fait passer un grand
oral assez difficile, vous imposant bien des corrections, et même la commission des lois
a assez fortement amendé vos propositions !
Venons-en maintenant au
fond et au volet institutionnel. Le groupe Démocratie libérale est favorable à une
évolution à la carte. Encore faudrait-il, comme le Président de la République l'a
demandé en mars, définir un socle constitutionnel commun. Si cette condition était
remplie, on pourrait concevoir que certaines collectivités fassent le choix d'une
assemblée unique mais on ne peut faire l'économie de cette réforme constitutionnelle
préalable. Il faudrait qu'elle se fasse de façon paisible et consensuelle : dès
lors, on pourrait éviter la tuyauterie complexe imaginée pour les accords de Nouméa,
avec ces POM qui amusent beaucoup la commission des lois et intéressent les étudiants en
droit, mais manquent vraiment de cohérence républicaine !
Nos collègues
réunionnais tiennent beaucoup à la bidépartementalisation. Grâce à M. Plagnol,
le débat a déjà été ouvert sur le sujet mais je dois rappeler l'opposition de
principe de notre groupe à cette mesure. Sur la forme, nous contestons l'organisation de
sortes de « bourgs pourris » et la brusque modification des échéances,
avancées de 2004 à 2001. Nous avons aussi le sentiment que vous avez pataugé, faute
d'avoir pris en compte à temps l'opposition résolue de la majorité des Réunionnais.
Sur le fond, nous ne
croyons pas qu'ajouter des structures administratives permettra au sud de l'île de
rattraper son retard de développement : il y faut des mesures économiques et
sociales, peut-être aussi des mesures expérimentales dérogatoires.
S'agissant du volet
économique et social, le défi à relever est, comme l'a dit M. Hoarau, celui du
chômage. Or, à cet égard, votre copie est bien faible, parce que Bercy ne vous a pas
suivi et que les arbitrages budgétaires ne vous ont pas été favorables. Heureusement,
la loi Perben est maintenue mais, semaine après semaine, nous assistons au
démantèlement de la loi Pons, en dépit de ses bons effets.
Vos mesures d'affichage
politique risquent d'avoir des effets pervers, d'autre part. L'exonération de cotisations
sociales en faveur des entreprises de moins de onze salariés va conduire à l'inflation
d'entreprises de dix salariés exactement, ou à la scission de celles qui voudront
profiter d'une aubaine --pour ne pas parler de la progression du travail au noir. Quant à
l'alignement du RMI et de l'allocation de parent isolé, on ne peut être contre a priori
mais la mesure entre-t-elle dans une politique sociale d'ensemble ? Et quid
du volet « insertion » ?
Enfin,
parler de l'API dispense-t-il d'une réflexion véritable sur la politique de contrôle de
la natalité ?
En bref, ces mesures, qui
partent d'un bon principe -et en tout cas d'un bon principe électoral- présentent un
risque grave de marginalisation des populations concernées.
D'autres dispositions
sont dangereuses. Il en est ainsi de l'exonération des cotisations vieillesse ou encore
de l'abandon des créances fiscales et sociales, qui n'est rien d'autre qu'une incitation
à la fraude organisée.
J'aurais, aussi,
souhaité trouver dans votre texte des mesures visant à faciliter le dialogue social car,
comme l'a très justement souligné le Président de la République, tout conflit social,
même limité, a des conséquences gravissimes outre-mer. Malheureusement, votre projet
est muet sur ce point.
Comme tous ceux qui sont
assis sur ces bancs, je pense que l'outre-mer est une chance pour la France et pour
l'Union européenne. Je déplore donc que vous ne l'abordiez pas par la haute mer mais
que, l'_il fixé sur votre cap électoral, vous vous limitiez au cabotage. Que dire, par
exemple, de ce RMI qui sera aligné en trois ans sur le RMI métropolitain, sinon que
l'alignement sera opportunément réalisé en 2002 ?
Comment expliquer que pas
une ligne de votre texte ne traite de l'immigration, et que demeurent de ce fait en
vigueur des dispositions fort anciennes, et inadaptées à notre temps ?
Le Président de la
République a justement souligné que l'outre-mer demande un grand dessein. Il ne pourra
s'accomplir sans des mesures efficaces visant à réduire le coût du travail et à
favoriser l'investissement et l'embauche des jeunes. Surtout, il ne pourra s'accomplir
sans courage politique, et c'est pourquoi beaucoup dépendra du sort qui sera réservé à
l'excellent amendement déposé par notre collègue Hoarau sur la surrémunération des
fonctionnaires en poste dans les DOM.
Qu'advient-il, aussi de
la politique du transport dans ces départements ? Je suis effaré d'apprendre que
l'ordonnance prévue aurait explosé en vol, alors qu'il faut réduire le prix des
transports aériens, favoriser l'essor des compagnies régionales, revoir les
infrastructures de sécurité aérienne -est-il admissible que, en certains lieux, faute
de radar, les man_uvres d'approche se fassent encore par guidage radio ? Il faut,
aussi, régler les transports urbains et interurbains et à la Réunion, plutôt que de
créer un second département, mieux vaudrait créer un transport en site propre dans la
zone de fort peuplement.
M. Claude Hoarau
- C'est parti.
M. Dominique
Bussereau - Doucement, alors !
Mais le débat de fond
doit porter sur le cadre constitutionnel des DOM, qui doit être fixé de manière
définitive ; ce débat doit, bien sûr, avoir lieu devant la représentation
nationale.
Nous constatons avec
regret que l'occasion d'un grand débat sur l'outre-mer ne nous a pas été donnée et,
pour toutes ces raisons, le groupe Démocratie libérale, ne votera pas votre texte (Applaudissements
sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).
Mme Christiane
Taubira-Delannon - Nous examinons ce projet dans un contexte insolite, après que
plusieurs assemblées territoriales des DOM l'ont rejeté sans l'examiner, alors qu'il les
concernait au premier chef. Il serait dommage que, de ce fait, de nouvelles répartitions
de pouvoirs aient lieu sans que les collectivités concernées aient pu en débattre. Pour
tout dire, ce serait revenir à l'époque qui a précédé les lois de décentralisation.
M. Henri Plagnol
- Exactement !
Mme Christiane
Taubira-Delannon - L'examen du titre II du projet montre en tout cas que si l'Etat a
décidé de se dessaisir de certaines de ses prérogatives, ce ne sera pas le cas pour
l'emploi des jeunes. Et pour ce qui est d'organiser l'évolution des DOM, comme y prétend
le titre VII, il y faudra, après tant de métamorphoses et de rétrécissements, un
volontarisme prométhéen. Ne s'agit-il pas de traiter, entre autres questions tout aussi
importantes, de la multiculturalité en Guyane, de la question foncière, de
l'aménagement du territoire, de la maîtrise des politiques publiques sectorielles ?
Pour autant, le
texte rompt avec le système d'exonérations et de dérogations défini depuis 1952 et
modifié par les lois Pons et Perben, d'une manière qui aura pour premier effet
indésirable de susciter la contagion. C'est en effet un très clair message d'incivisme
qui est donné à des entreprises que l'on semble considérer comme les entités les plus
vulnérables qui soient ! Ne voit-on pas
que les multinationales vont s'engouffrer dans la brèche ? En revanche, rien sur le
contrôle des abus, comme si la doctrine libérale avait imprégné ce difficile débat.
Les entreprises se verront ainsi dotées d'un ballon d'oxygène, mais les mesures
préconisées seront-elles de nature à rehausser le niveau de leurs fonds propres ou à
inciter un système bancaire déprimé à consentir plus facilement des prêts ?
Intriguée, je me suis
interrogée sur la nature et sur l'intensité de l'effort consenti par l'Etat en faveur de
la reconstruction de la France après la seconde guerre mondiale. C'est peu dire qu'il a
eu un rôle central -il apparaît partout : dans la nationalisation de la Banque de
France, dans le recours au marché financier, dans le lancement d'une politique de
réescompte et de prêts bonifiés, dans le financement d'activités coûteuses, dans la
fusion en un seul Fonds de développement économique et social, en 1955, de tous les
fonds créés jusqu'alors dans ce but unique... Tout cela n'est pas si vieux, et ces
mesures ciblées étaient nécessaires à la reconstruction d'une économie qui, nourrie
comme elle l'avait été au cours des temps du pillage des Amériques, ne repartait
pourtant pas totalement exsangue.
Mon propos n'est pas que
l'on suive le même parcours mais que l'on s'inspire de ce qu'ont accompli l'Algérie ou
le Venezuela, par exemple, qui se sont appuyés sur le gaz ou les hydrocarbures pour
financer leur industrie lourde.
M. Henri Plagnol
- Quels exemples ! Faut-il vraiment les suivre ?
Mme Christiane
Taubira-Delannon - Je respecte tous les peuples, et je considère qu'il est largement
temps de prendre les mesures nécessaires pour que baisse la charge fiscale, pour que les
retraités cessent de voir leurs maigres biens immobiliers perdre toute leur valeur, pour
que les dossiers de surendettement soient enfin traités conformément à la loi.
Les érémistes des DOM
pourront-ils se satisfaire de continuer à ne percevoir que 1 700 F ou
2 500 F pendant des années encore ? Et les maires des plus petites
communes des miettes qui leur seront laissées de la majoration de la dotation
forfaitaire, selon le principe bien connu qu'il est de bonne politique de prendre aux
pauvres pour donner aux pauvres ?
Et que dire du maintien
de la prime de chaleur et de la prime de serpent instituées en 1953 pour attirer des
fonctionnaires dont on n'était pas certain qu'ils avaient la fibre missionnaire ?
Certes, l'outre-mer était loin, mais cette incitation les faisait soupçonner de la pire
des motivations : ils étaient suspects de « chasse à la prime », même
lorsqu'ils décidaient de partir par curiosité ethnographique ou par goût du carnaval.
Ces mesures se justifieraient si nous n'avions pas suffisamment de jeunes diplômés pour
pourvoir les postes. Or cela fait longtemps que nos jeunes font des études brillantes.
Dès 1960 d'ailleurs, un
décret autorisa les préfets à muter d'office -et sans prime- les fonctionnaires
« présentant un danger pour l'ordre public » C'est ainsi qu'on autorisa
l'expulsion de leur propre territoire de leaders charismatiques qui avaient eu le tort de
manifester avec trop de ferveur leur attachement à leur terre et à leurs idéaux.
Quel intérêt ce
Gouvernement voit-il à maintenir ces primes ? Je n'en vois pas au titre de la morale
publique. Elles coûtent cher à l'Etat sans même contribuer à soutenir la consommation
locale. Si elles le faisaient, d'ailleurs, ce serait en aggravant les effets
inflationnistes des traitements de la fonction publique et de l'économie d'importation.
Je ne comprends pas au nom de quoi il faudrait maintenir un dispositif qui cause autant de
distorsions.
M. Dominique
Bussereau - Très bien !
Mme Christiane
Taubira-Delannon - Le volet culturel ne peut non plus nous satisfaire.
La question
culturelle est consubstantielle à l'organisation sociale et aux rapports économiques.
Les Amérindiens ont fait connaître leurs propres revendications. Les Guyanais ne feront
pas l'économie d'un débat de fond.
Tous les professionnels
ont affirmé que l'alignement du prix du livre aurait des effets pervers sur l'offre
d'ouvrages. Mieux vaudrait revoir le ratio de surface des bibliothèques.
On ne peut se contenter
de rattacher l'IUFM à une université extérieure, comme si la Guyane était condamnée
à n'avoir jamais sa propre université, alors qu'elle héberge de véritables pôles
d'excellence en matière de recherche.
Le droit commun est
dévastateur, que ce soit pour les entreprises, les artisans, les écoliers et les
étudiants. C'est pourquoi il faut que nous participions de plus en plus à l'élaboration
et à l'évaluation des politiques publiques.
Ce texte contient des
remèdes à des maux réels et pressants, mais il reste à s'attaquer aux causes mêmes
des crises sociales et du non-développement.
Parce que les aspirations
d'un peuple sont souvent portées par ses minorités, nous ferons appel à nos artistes,
qui s'obstinent à peindre et à chanter notre génie, nos turpitudes et nos
embardées ; nous nous appuierons sur les femmes de nos villes et de nos villages,
qui ressuscitent des métiers inconnus des statisticiens, sur nos médecins pour qui la
santé est un droit, sur nos avocats qui deviennent combatifs même s'ils sont commis
d'office, sur nos magistrats qui ne croient pas que la justice soit une expédition
punitive...
Pendant longtemps encore,
nous paraîtrons imprévisibles et déconcertants. Nous sommes des écorchés vifs. Le
moindre impair lacère notre sensibilité. Nous sommes irritables, ombrageux, nous avons
la dignité à fleur de peau. C'est qu'il fallait du ressort pour affronter l'arrogance,
la feinte et le parjure. Nous continuerons à battre pavillon de susceptibilité, en
espérant que le Gouvernement voudra bien nous entendre (Applaudissements sur tous les
bancs).
M. Jean-Louis
Debré - Monsieur le secrétaire d'Etat, ce projet est décevant. Nous sommes très
loin des espoirs suscités par le grand discours qu'a prononcé, le 11 mars dernier,
le Président de la République à la Martinique.
La déception des élus
d'outre-mer et de tous ceux qui aiment l'outre-mer, est visible. Manifestement,
l'outre-mer n'est pas une priorité pour le Gouvernement.
Votre projet cristallise
les mécontentements, y compris chez vos propres amis, et en écoutant
Mme Taubira-Delannon, j'ai eu l'impression qu'elle allait voter contre.
Vous nous présentez un
texte « édulcoré », comme l'a qualifié le rapporteur. Votre méthode de
travail se résume facilement : improvisation, manque d'ambition, absence de
concertation.
Une simple étude
juridique vous aurait évité de vous fourvoyer dans cette idée du congrès, à
l'évidence incompatible avec l'article 73 de la Constitution. L'avis du Conseil d'Etat
vous a obligé à revoir ce dispositif, dont vous avez limité la portée. Cette mesure
inutile, vous n'avez même pas su l'imposer à vos amis, puisque la commission l'a
rejetée.
Quoi qu'il en soit, les
élus peuvent se réunir et faire des propositions institutionnelles sans qu'il soit
besoin de créer une troisième assemblée.
La façon dont vous avez
décidé de diviser la Réunion en deux départements illustre toute votre
politique : échéance brusquement avancée, découpage contestable, un texte de
douze pages ramené à six lignes pour renvoyer la réforme à un autre texte. Tout cela
manque de sérieux.
Vous ne savez pas, ou
vous ne voulez pas écouter les élus locaux. Six assemblées locales sur huit ont
repoussé votre projet et malgré ces votes, vous persistez. Pourquoi un tel
entêtement ? Les Français d'outre-mer, comme tous les autres Français, veulent
être entendus et respectés. Le temps du paternalisme est révolu.
Ce texte manque
d'ambition. Ce n'est qu'un projet de loi d'orientation, pas un projet de loi de programme.
Sur le plan
institutionnel, vous n'avez pas compris que le modèle unique pour tous, c'est fini !
Nous, nous voulons
refonder nos liens avec les populations d'outre-mer, dans le respect de l'unité de la
République. Vous vous contentez d'une série de mesures économiques et sociales dont
certaines, comme l'a montré Dominique Bussereau, auront des effets pervers. C'est
insuffisant.
Fier de son histoire et
fort de l'affection qui le lie à l'outre-mer, le groupe RPR aborde le XXIe siècle
sans craindre les évolutions nécessaires. Ce projet ne peut susciter de nouvelles
espérances et c'est pourquoi le groupe RPR ne le votera pas (Applaudissements sur les
bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).
M. Ernest
Moutoussamy - N'en déplaise à M. Jean-Louis Debré, jamais l'élaboration d'un
texte sur l'outre-mer n'aura été si consciencieuse, n'aura suscité autant de
déclarations, de prises de position et aussi d'espoirs. Exceptionnel par sa préparation,
ce projet le sera aussi par ses résultats, sur le plan économique comme sur le plan
statutaire.
L'enjeu est de taille
puisqu'il s'agit de doter les quatre vieilles colonies de moyens efficaces et justes afin
qu'elles soient en mesure d'échapper à la situation catastrophique actuelle et d'assumer
leur avenir dans la République, dans l'Union européenne et dans leur zone géographique.
Grâce à la démarche
suivie par le Gouvernement, la discussion de ce projet s'inscrit dans un cadre
débarrassé des préjugés et des tabous. De Pointe-à-Pitre au Caire, en passant par
Basse-Terre et Fort-de-France, ainsi que par les contributions de toutes les organisations
politiques et socioprofessionnelles, nous avons assisté à une avalanche de propositions
emportant les repères traditionnels et les frontières idéologiques. Ce n'est pas signe
de folie mais de passion. Nous étions en panne de perspectives, voici maintenant que
toutes nos intelligences, toute notre expertise, toutes nos forces sont convoquées au
banquet de l'imagination. Ce débat qui brasse toutes les options -du statut
départemental à l'indépendance- témoigne d'une forte vitalité démocratique et d'une
grande maturité politique. Il montre aussi à quel point nos départements ont besoin
d'un statut adapté aux exigences du monde nouveau.
Dans un monde ou
l'interdépendance l'emporte sur l'indépendance, où les Etats sacrifient chaque jour des
pans entiers de leur souveraineté, où la mondialisation fait des ravages, où les moyens
de communication et d'information s'imposent outrancièrement, il n'est pas simple de
dessiner les contours de notre avenir. Pourtant, il faut, sans attendre, donner à notre
jeunesse enthousiaste et ambitieuse, des signes forts d'espoir.
Notre
capacité à assumer nous-mêmes une part essentielle de notre destin passe par la mise en
_uvre d'un modèle original et authentique de développement, sous la responsabilité
reconnue des élus du suffrage universel. Il est révolu, le temps des slogans simplistes,
des promesses et des recettes miraculeuses. Nous avons besoin d'un programme dynamique
contre le malaise, le chômage, l'absence d'horizon, la perte des repères fondamentaux et
le doute sur l'identité. Cela implique de mieux définir les termes de notre appartenance
à la République et à l'Union européenne. La France devant prochainement assumer la
présidence de l'Union européenne, ne devrait-elle pas saisir cette occasion pour nous
aider à bénéficier de la garantie de marché et de revenus pour nos productions
traditionnelles ainsi que d'un statut social et fiscal particulier ? L'outre-mer ne
pourrait-il pas être une des priorités de la présidence française ? Envisager une
avancée institutionnelle -qui passe par une révision de la Constitution- à l'heure où,
dans l'Union européenne même, les DOM bénéficient d'un statut particulier au titre de
l'article 299-2 me paraît tout à fait naturel, et ce d'autant plus que, nous le
constatons avec intérêt, l'évolution statutaire des DOM ne constitue pas une pierre
d'achoppement entre le Président de la République et le Premier ministre, dès lors
qu'elle ne met pas en cause la République et ses valeurs fondamentales. C'est bien en
tout cas ce qui ressort des récentes déclarations officielles. Nous constatons aussi
l'évolution considérable de la droite locale sur la question du statut. Elle laisse
penser que le rêve des forces progressistes, vieux d'un demi-siècle, a enfin une chance
de se réaliser. En effet, à entendre le Président de la République, les anciens
ministres de l'outre-mer et les voix autorisées de l'opposition actuelle, il apparaît
qu'une majorité parlementaire en faveur de la révision constitutionnelle pourrait se
dégager.
Le projet qui nous est
soumis répond-il à toutes ces attentes ? La discussion permettra d'en juger.
Aujourd'hui, pour
l'essentiel, c'est à la Guadeloupe de se prononcer avec clarté et de façon majoritaire
sur un projet. Encore faut-il que celui-ci soit élaboré démocratiquement. C'est
pourquoi j'approuve la mise en place d'un congrès qui nous permettra de mettre les
contributions de tous dans le creuset de la réflexion. Mais comme chaque assemblée
pourra amender le projet issu du congrès et en définitive soumettre son option propre au
Gouvernement, il me paraît nécessaire que ce dernier soit aussi saisi des propositions
du congrès. Aussi souhaitons-nous au sujet du congrès une rédaction plus cohérente et
plus précise, avec un calendrier législatif, voire de révision constitutionnelle si la
population concernée en décide ainsi. C'est le sens de nos amendements à
l'article 39. En tout état de cause, vous ouvrez la voie, Monsieur le ministre, à
l'évolution démocratique du statut des DOM. Je salue avec émotion cette initiative
attendue depuis un demi siècle et j'ose espérer que le Conseil constitutionnel ne
coupera pas cet élan. Aux forces politiques locales d'assumer et de gérer cette avancée
réclamée depuis si longtemps.
Ce texte d'avenir
traite aussi du présent. En effet, les marins-pêcheurs vont bénéficier d'une
diminution des cotisations ENIM et les agriculteurs de l'exonération des cotisations
AMEXA jusqu'à 40 hectares pondérés. Le dispositif relatif aux entreprises laisse
espérer leur résurrection. Les jeunes pourront s'investir dans le projet
initiative-jeune. Les bénéficiaires du RMI et des autres minima sociaux pourront tenter
un retour à l'activité. Le développement de
la culture et des identités trouvera des leviers intéressants avec le prix unique du
livre et l'application à la langue créole de 39 mesures de la charte des langues
régionales. Les collectivités locales pourront s'engager davantage dans la coopération
régionale...
A l'énoncé de ces
mesures, les 50 000 chômeurs de la Guadeloupe, les 25 000 rmistes, les
27 000 petites entreprises pourraient croire à la fin du cauchemar. Malheureusement,
il manque au dispositif un cadre local approprié. Dans notre région, par exemple, il n'y
a pas de schéma d'aménagement, de transport ou de développement touristique, pas de
vision d'avenir. Faute de projets et de moyens, les collectivités locales pourront très
difficilement capitaliser les ressources des contrats de plan du DOCUP et des fonds
européens au profit d'un plan de développement durable.
Je regrette qu'il manque
à ce projet de loi des mesures fortes en faveur de la production agricole, de l'emploi
non marchand, de l'économie solidaire, des collectivités locales, des investissements
productifs, du crédit au développement, de l'éducation et des transports... Mais
j'espère que le Gouvernement entendra les propositions qui lui seront faites dans ces
différentes domaines sous forme d'amendements.
En conclusion, le chemin
de la construction de la Guadeloupe ne relève pas de l'improvisation mais passe par un
compromis entre toutes les options politiques et par une redéfinition du lien
institutionnel avec la nation. C'est la seule voie susceptible de sauvegarder l'identité,
de promouvoir la responsabilité, de maintenir le contact avec le progrès et de
pérenniser la confiance des populations dans la République (Applaudissements sur les
bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV)
M. Gérard
Grignon - Si je tiens à ce que ce projet concerne Saint-Pierre-et-Miquelon, c'est
essentiellement à cause des dispositions destinées à favoriser l'emploi.
Je ne m'étendrai pas sur
les difficultés économiques spécifiques de l'archipel. Je rappellerai simplement que
l'arbitrage frontalier de New York et les moratoires sur la pêche à la morue qui ont
suivi en 1993 l'ont totalement sinistré, laissant une population traumatisée et
inquiète pour son avenir.
En 1990, 1991 et 1992,
les taux de couverture de l'ensemble des importations par les exportations de produits de
mer furent respectivement de 48, 54 et 49 % ; mais en 1993 et 1997, seulement de
8 %. La baisse des quotas de pêche a en outre considérablement ralenti l'activité
portuaire. Alors que dans les années 70, près de 700 navires de pêche étrangers -pour
un tonnage brut de 500 000 tonnes- fréquentaient le port de Saint-Pierre, ils
n'étaient plus que 57 en 1994 -pour un tonnage de 51 000 tonnes.
Les deux sociétés de
pêche et de transformation du poisson ont licencié plus de 300 personnes depuis 1994, ce
qui est énorme à l'échelle de notre population. L'une des deux a d'ailleurs
complètement disparu. Dans ces conditions de crise, vous comprendrez, Monsieur le
ministre, que j'accorde priorité à l'emploi et à la diversification économique.
Car, malgré le choc des
années 1992-1993, la population n'a pas baisé les bras et la diversification économique
de l'archipel se poursuit. Au cours des six dernières années, le taux de chômage s'est
infléchi. Pour autant, les handicaps structurels demeurent, qu'il s'agisse du coût des
transports, de l'absence de matières premières ou de l'étroitesse du marché
intérieur, et si l'exploitation des hydrocarbures offre des perspectives intéressantes,
elle ne pourra être concrétisée avant six ou sept ans.
Dès lors, même si la
situation de l'emploi est meilleure que dans les quatre DOM, elle reste fort inquiétante
et elle exige que les dispositifs d'exonération soient pérennisés, tout comme les
primes à la création d'emploi nées de la loi Perben. Nécessité d'autant plus
impérieuse que les coûts salariaux pratiqués par nos voisins des provinces atlantiques
demeurent largement inférieurs aux nôtres. Aussi, je ne puis qu'être satisfait lorsque
je constate que les dispositions d'ordre économique du présent projet sont rendues
applicables à notre collectivité. Je vous avais également soumis une proposition de
modulation de la prime à la création d'emploi et je me réjouis que votre projet suive
la même logique. Ces dispositions sont favorables à la diversification économique de
l'archipel et j'observe qu'on ne peut d'un côté plaider au plan national pour la baisse
des charges et contester de l'autre un système qui tend à les supprimer intégralement
pour tenir compte de la spécificité de l'outre-mer. On ne peut être favorable aux
exonérations Perben et opposé à celles, plus larges, que propose M. Queyranne.
Les mesures propres à
favoriser l'emploi des jeunes sont également positives, qu'il s'agisse du titre de
travail simplifié ou de l'aide à l'insertion professionnelle.
J'avais cependant
déposé plusieurs amendements dont certains sont tombés sous le coup de l'article 40. Un
premier amendement, relatif aux exonérations et contributions des employeurs et travailleurs indépendants, tendait à ce qu'il soit
tenu compte du plafond de sécurité sociale en vigueur dans la collectivité. Un autre
visait à faire rembourser par le budget de l'Etat à la caisse de prévoyance sociale les
exonérations de charges autorisées. Il a été repris par le Gouvernement, je l'en
remercie.
Je voudrais également
rappeler le problème que pose dans l'archipel le fonctionnement de la fonction publique,
qu'il s'agisse de la promotion des agents locaux ou de l'accès des jeunes aux concours
administratifs. Pour remédier à ces difficultés, j'ai proposé qu'un observatoire de la
fonction publique soit créé dans l'archipel.
S'agissant des échanges
culturels et de la protection sociale, j'ai demandé que l'article 21 s'applique à
Saint-Pierre-et-Miquelon, afin que nous puissions bénéficier des fonds de promotion des
échanges éducatifs, culturels ou sportifs. De même, j'ai demandé par voie d'amendement
l'application dans la collectivité de la loi de 1975 relative aux personnes handicapées.
Le couperet de l'article 40 est tombé mais je souhaiterais, Monsieur le ministre,
que cet amendement soit repris afin de rattraper le retard en matière de protection
sociale et je sais que vous accéderez à cette demande.
Les dispositions du titre
VIII de ce projet sont favorables à l'emploi dans l'archipel et je ne puis que les
approuver. Je voterai donc ce projet dans l'intérêt de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Les dispositions d'ordre
institutionnel prévues à l'article 41 touchent au fonctionnement du conseil général,
aux compétences en matière d'urbanisme et à la répartition des recettes
fiscales ; la dernière disposition institue une conférence des finances locales.
Ces réformes étaient réclamées depuis six ans par les maires de
Saint-Pierre-et-Miquelon. Or, le maire de Saint-Pierre vient de prendre la présidence du
conseil général tout en conservant son siège de maire. Cette réforme institutionnelle
de fait, qui institue l'Assemblée unique, serait de nature à combler M. Darsières.
Mais le président du conseil général et sa majorité nouvellement élue ne veulent pas
de ces dispositions. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement de suppression des trois
dernières dispositions d'ordre institutionnel de l'article 41, je m'en expliquerai
ultérieurement.
S'agissant de la
rédaction du cahier des charges relatif au transfert de compétences pour ce qui concerne
les ressources halieutiques, biologiques et non biologiques du sous-sol marin, le décret
en Conseil d'Etat afférent n'a toujours pas été pris. Pour ce qui concerne les
activités de transbordement douanier -qui sont interrompues depuis 1999- je considère
qu'il appartient à la Commission européenne d'apporter la preuve de leur illégalité,
car leur interdiction représente un manque à gagner considérable. Sans doute
convient-il en outre de porter sans plus attendre le litige devant le tribunal de
La Haye.
Sur un plan
général, votre projet présente deux faiblesses : il n'est prévu aucun mécanisme
de substitution à la loi Pons et le dispositif institutionnel est insuffisant. Il va
cependant dans la bonne direction et représente une évolution positive pour l'outre-mer en général et pour
Saint-Pierre-et-Miquelon en particulier (Applaudissements sur nombreux bancs du groupe
UDF, du groupe socialiste et sur divers bancs).
Mme Chantal
Robin-Rodrigo - Nos avons à l'égard des 6 500 habitants de
Saint-Pierre-et-Miquelon un devoir de solidarité particulier. Au plan institutionnel, il
convient de faire évoluer le mode l'élection des conseillers généraux en instaurant un
système unifié qui ne donne plus aux électeurs de Miquelon le sentiment d'être des
citoyens de seconde zone. Nous proposons à cette fin que l'article 41 du projet soit
rédigé de manière plus contraignante afin d'assurer la représentation de toutes les
forces politiques.
S'agissant du volet
économique, je me félicite à mon tour du dispositif d'exonérations retenu, dont il est
également prévu qu'ils s'appliquent aux petits exploitants agricoles. Nous proposons en
outre que les compétence de la chambre du commerce et de l'industrie soient étendues à
l'activité agricole.
Favorables au programme
initiative jeunes, nous souhaitons que les dispositions de l'article 21, qui tendent
à promouvoir les échanges pour compenser l'isolement des territoires d'outre-mer,
s'appliquent à Saint-Pierre-et-Miquelon. Nous plaidons également pour l'assouplissement
du dispositif emplois-jeunes, dont la gestion centralisée répond mal aux réalités
locales.
Pour ce qui concerne
enfin le volet culturel et la défense de la langue française, Saint-Pierre-et-Miquelon
est sensible à l'avenir de RFO, dont le rôle d'ambassadeur de la culture française doit
être affirmé, dans une région du monde dominée par la culture anglo-saxonne, malgré
les efforts de nos voisins du Québec.
Bien entendu, les
députés radiaux de gauche voteront sans réserve ce projet de loi (Applaudissements
sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste, du groupe communiste et divers bancs).
M. Philippe
Douste-Blazy - Depuis cinquante ans, la République a su trouver les voies de la
stabilité et du développement dans les départements et les territoires d'outre-mer.
En 1946, la Guadeloupe,
la Guyane, la Martinique et la Réunion accèdent au statut de département et cessent
d'être des colonies pour devenir des départements français, avec les mêmes droits que
les départements métropolitains. Ce n'était que justice pour des territoires plus
anciennement français que bien des départements de la France métropolitaine, qui ont
contribué pendant des siècles à la prospérité de la France, qui sont restés libres
quand la France était occupée et qui ont participé activement à la libération de
l'Europe occupée.
En 1958, les articles 73
et 74 de notre Constitution scellaient la départementalisation, tout en offrant à la
France d'outre-mer une première reconnaissance de sa spécificité.
Depuis cinquante ans, la
stabilité et la souplesse des institutions ont garanti non seulement l'intégration
politique mais le développement économique des départements et territoires d'outre-mer.
Bien sûr, l'attachement de la métropole aux DOM ne se mesure pas uniquement à l'aune
des performances économiques, il reste que sans le statut de département d'outre-mer, le
développement auquel nous avons assisté n'aurait jamais eu lieu, car c'est bien la
stabilité politique qui permet la confiance des agents économiques. Or, tandis que
certains gouvernements ont mis en place des régimes fiscaux et sociaux aux effets
extrêmement positifs sur le développement, d'autres, auxquels celui-ci ne fait pas
exception, ont eu pour objectif de transformer les institutions, accroissant ainsi
l'incertitude quant au devenir de ces régions.
Ce projet est, tout
d'abord, bien tardif : ce gouvernement découvre après trois ans que la situation
des départements d'outre-mer justifie l'adoption de mesures spécifiques.
Ce texte est, ensuite,
trop flou : bon nombre d'articles sont de simples déclarations d'intention. L'UDF
aurait souhaité une véritable loi de programmation, à l'instar de celle votée en
décembre 1986, soit neuf mois seulement après l'arrivée au pouvoir du gouvernement de
l'époque.
En troisième lieu, ce
projet se trompe de priorités. Pour les populations d'outre-mer, la priorité reste le
développement économique, dont les moyens concrets font l'objet d'un consensus. La loi
de défiscalisation avait permis une progression fulgurante de l'investissement outre-mer
depuis 1986 ; elle est aujourd'hui en lambeaux. Mais au lieu de rétablir une
défiscalisation attractive pour les investisseurs, le Gouvernement se contente de mettre
en place un groupe de travail réservé à quelques professionnels, alors que le nombre
d'agréments est en chute libre depuis deux ans. De même, le plan export est resté
lettre morte : la seule mesure destinée à favoriser les entreprises exportatrices
est l'abaissement du pourcentage du chiffre d'affaires donnant droit à la prime créée
par la loi Perben de 1994. Les organisations patronales et les chambres de commerce ont
pourtant fait des propositions précises ; comment prétendre développer
l'initiative locale en restant sourd aux recommandations de ceux de qui dépend la
dynamique économique ? Enfin, l'UDF préfère l'idée d'entreprise franche à celle
de zone franche, laquelle n'a pas eu le succès escompté.
Par ailleurs, nous sommes
devant un projet virtuel, totalement étranger, sur la forme comme sur le fond, aux
aspirations locales.
Le Gouvernement n'a pas
demandé moins de trois rapports sur les causes du mal-développement outre-mer. Tous
concluent à la nécessité de profondes mutations ; de ces réformes en profondeur,
ce projet ne dit rien.
Le moment
est venu de permettre aux producteurs locaux d'exporter leurs productions et d'attirer des
investisseurs métropolitains ou étrangers qui fassent des DOM des plates-formes pour
réexporter dans le monde entier ; or, loin de favoriser cette mutation historique,
ce projet tend à rendre les institutions plus instables, donc à affaiblir la confiance
des investisseurs.
Enfin, ce projet est
idéologique.
Les vrais problèmes des
habitants de l'outre-mer sont ceux de beaucoup de Français : chômage, délinquance,
difficultés à se loger. Or que nous propose le Gouvernement ? Créer un organe
institutionnel destiné à faire des propositions en matière institutionnelle, et créer
un second département à la Réunion !
Cette dernière
proposition a été repoussée par la population réunionnaise, qui est descendue en masse
dans la rue pour exprimer son hostilité...
M. Claude Hoarau
- C'est faux !
M. Philippe
Douste-Blazy - ...ainsi que par le conseil général, principal intéressé, ainsi que
le conseil régional, pourtant à majorité de gauche. Monsieur Hoarau, j'ai pu constater
sur place, à travers les sondages, que la population de la Réunion refuse la
bidépartementalisation. M. Virapoullé a montré, sur ce sujet, le chemin du
« non » !
M. Claude Hoarau
- C `est pour cela qu'il n'est plus ici !
M. Philippe
Douste-Blazy - C'est pour cela qu'il y reviendra ! (Applaudissements sur les
bancs du groupe UDF et du groupe du RPR)
Non seulement la
bidépartementalisation est contestée par la majorité des Réunionnais, mais elle risque
d'accroître les difficultés de concertation entre collectivités locales, ce qui nuira
au développement économique.
Je n'ose imaginer
l'indignation de cette Assemblée si un gouvernement s'acharnait de la sorte sur un
département métropolitain, à quelques mois d'une échéance électorale... Ce projet
est une injure à la décentralisation et à la libre administration des collectivités
locales.
Plus grave encore, ce
projet apparaît à certains comme une tentative du Gouvernement d'effacer un vote qui
l'inquiète, celui de 1998. Des échéances électorales approchent, et le département de
la Réunion pourrait bien faire basculer des majorités...
Le groupe UDF propose
donc un amendement de suppression de l'article 38 portant création d'un second
département. Si ce texte est adopté, il engagera un recours devant le juge
constitutionnel.
Cinquante ans après la
départementalisation, l'outre-mer est à un tournant de son histoire économique. Les
vieux schémas de l'économie post-coloniale sont en train de s'effacer au profit d'un
nouveau développement ; nous avons un seul devoir, celui de ne pas contrarier cette
mutation, mais au contraire de l'encourager. Le combat que nous mènerons sera celui de la
création d'un véritable statut de régions économiques européennes, profitant à plein
du nouvel article 299, alinéa 2, du traité d'Amsterdam. Je voudrais remercier
ici Henri Jean-Baptiste et Gérard Grignon pour le travail qu'ils font au sein du groupe
UDF pour défendre les DOM-TOM.
L'UDF ne votera pas ce
texte, tant qu'un volet institutionnel inutile et dangereux prendra la place que devraient
occuper des mesures économiques et sociales courageuses (Applaudissements sur les
bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).
M. Camille
Darsières - Votre mérite, Monsieur le ministre, est d'avoir compris que le retard de
développement de l'outre-mer ne se rattraperait pas par des rafistolages, mais appelait
une thérapeutique globale et très forte.
Vous avez annoncé la loi
d'orientation le 23 octobre 1998. Dès le lendemain, le groupe interdom, place
Beauvau, a suggéré une méthode pour son élaboration : les élus feraient remonter
les doléances des populations, les analyseraient avec votre conseiller -il y en aurait un
par département- ; une première mouture serait adressée aux instances
locales ; une seconde, à partir des observations des assemblées territoriales.
Bref, ce serait une manière de « loi décentralisée », élaborée
contradictoirement.
Vous avez choisi
une autre méthode, dont nous avons absolument respecté les règles. Elle n'a pas été
sans avantage, puisque votre projet comporte des mesures très positives :
exonérations de cotisations de sécurité sociale sans précédent, incitations au
passage aux 35 heures, encouragement à
la création d'entreprise pour les jeunes, élargissement du champ des exonérations de
cotisations sociales agricoles...
Mais ce que nous
redoutions s'est produit : vous avez rédigé votre projet de manière solitaire et
votre concertation s'est appuyée essentiellement sur des rapports, des correspondances,
des délibérations. En bref, elle fut scripturale alors que l'intergroupe la souhaitait
orale, fondée sur le débat. Dès lors, les députés ne peuvent apporter les correctifs
nécessaires en temps utile, la Constitution leur interdisant ensuite de défendre des
amendements susceptibles de créer une charge financière à l'Etat. Notre capacité
d'action fut ainsi fortement réduite, comme le montrent deux exemples.
Vous avez compris que le
surendettement des entreprises, des travailleurs indépendants et des particuliers
n'était pas le résultat d'une mauvaise gestion, mais souvent de circonstances
diverses : cyclones ou tempêtes tropicales dont les assureurs se refusent à
indemniser les dégâts ; taux d'intérêt dépassant parfois de quatre points ceux
de métropole, de sorte qu'il est souvent plus facile d'emprunter pour acquérir une
Mercedes qu'un tracteur Caterpillar ; étroitesse du marché qui livre nos
producteurs à une concurrence extérieure exacerbée par la libéralisation des
marchés... En vérité, le cri des endettés d'outre-mer ne saurait être
banalisé : il est le révélateur de maux réels et profonds. Ne nous mettons pas de
boules Quiès pour ne pas entendre !
Vous avez donc fort bien
fait de proposer une procédure de désendettement, excellente dans son principe. Mais il
eût fallu être plus contraignant à l'égard des administrations créancières. Ainsi
pourquoi, après avoir disposé que 50 % des arriérés de sécurité sociale
seraient effacés, écrire qu'un plan d'apurement « peut être signé » pour
le solde ? N'est-ce pas organiser la lutte du pot de terre contre le pot de fer et
laisser la sécurité sociale libre de refuser ? C'est pourquoi j'avais proposé un
amendement disant : « un plan d'apurement est signé ».
Pour les
arriérés fiscaux, le projet, qui prévoit jusqu'à l'effacement total des arriérés
d'impôt direct, offre au contribuable la possibilité de demander un échelonnement de la
dette, mais à l'administration fiscale celle de refuser. D'où un autre amendement
tendant à sortir le contribuable de ces fourches caudines et à imposer la discussion au
fisc.
Or, qu'est-il advenu de
mes contre-propositions ? La commission des finances, estimant qu'elles créaient une
charge financière à l'Etat, les a frappées d'irrecevabilité !
Autre exemple :
alors que, pour la coopération régionale, il existe actuellement deux fonds d'Etat, l'un
pour la Réunion, l'autre pour les Antilles et la Guyane, le projet en annonce
trois : un pour la Guyane, un pour la Réunion, un unique pour la Guadeloupe et la
Martinique. Mon amendement demande qu'il y en ait un pour chacun de ces deux
départements, le fonds commun étant divisé par deux. La commission des finances a
encore déclaré l'initiative anticonstitutionnelle.
Tout cela ne
démontre-t-il pas qu'il eût mieux valu ouvrir un débat contradictoire préalable, afin
que, en mesure d'évaluer le coût des dispositions proposées par les députés, le
Gouvernement ait ensuite l'initiative -qu'aucune commission ne peut lui enlever- de
prendre les mesures dont il aurait été convaincu qu'elles s'imposaient ?
Un spectre hante la
Martinique : la généralisation de la paupérisation. Pendant le dernier débat sur
le budget des DOM, ont défilé dans les rues de Fort-de-France, rassemblés pour bien
marquer l'étendue tentaculaire du mal, des agriculteurs et des médecins, des avocats et
des petits commerçants, des marins-pêcheurs et des chirurgiens-dentistes... C'est que,
chez nous, plus rien n'est sûr, hors de vivoter -sauf pour ceux qui, depuis les origines,
détiennent le foncier, donc le crédit, donc l'initiative de la création d'entreprises.
Ceux-là sont les moteurs de notre économie : tout à la fois exploitants agricoles,
propriétaires de grandes surfaces, ayant la haute main sur nos produits d'exportation,
mais vendant, à prix libres, à leurs associés et néanmoins concurrents, articles
phytosanitaires, engrais et emballages...
Faut-il s'en prendre à
eux ? Non, car ce sont d'authentiques Martiniquais et de ceux qui font que nous
sommes plus qu'une population : un peuple. Ils sont de ces porteurs de capitaux dont
nous avons besoin, parce que ce sont des hommes d'imagination qui, à l'occasion, savent
mouiller leur chemise et que leurs initiatives sont de nature à provoquer un effet
d'entraînement dans la bourgeoisie compradore. Par contre, il faut les inciter, au besoin
les contraindre, à créer des emplois et des activités.
Or là est précisément
la grande faille dans cette loi. Elle accorde des exonérations de cotisations patronales
mais, frappée du même péché originel, à la longue mortel, que la loi Perben, elle
n'exige aucune contrepartie des chefs d'entreprise, en termes d'emploi. Je ne sais quel
sera le sort de mon amendement visant à exonérer de cotisations sociales les emplois
créés au-dessus de 20, ou de 30, ou de 40 salariés. Mais votre projet, en l'état,
incite plutôt à se contenter de 10 salariés.
Pour ce qui est de créer
des activités, il a manqué à ce projet de prévoir expressément une loi d'incitation
à l'investissement, de nature à attirer des capitaux étrangers mais surtout à
encourager l'épargne locale -celle, notamment, de la bourgeoisie compradore qui, si elle
continue de servir d'intermédiaire aux fournisseurs de métropole, a assez d'intelligence
pour se reconvertir et réorienter notre économie vers un développement durable.
A la différence de
M. Douste-Blazy, je ne critique pas le fait que le Gouvernement se soit appuyé sur
les travaux d'un groupe de réflexion, mais je constate que nous ignorons tout des
principes qui guident celui-ci. Va-t-on garantir la durée de la loi d'incitation à
l'investissement et associer à l'agrément des dossiers l'exécutif régional compétent
pour le SAR et pour l'aménagement du territoire ?
Enfin, il faut briser le
système en place depuis plus de trois siècles. Il n'y aura pas de développement durable
tant qu`on continuera de concevoir l'outre-mer comme destiné à consommer les produits de
la métropole, à garantir à celle-ci le monopole de pavillon et à assurer la carrière
de cadres métropolitains en mal de primes. Le pacte colonial a la vie dure. Isidore
Renouard, rapporteur pour avis de la commission de la production pour les DOM, relevait le
26 octobre 1970 que « les firmes métropolitaines considèrent les îles
comme un marché réservé et tuent dans l'_uf des concurrents éventuels ». La
multiplication des grandes surfaces n'a rien enlevé à la validité de ce constat.
L'article 21 de la
loi du 25 juillet 1994 avait posé le principe d'une conférence paritaire du coût du
fret maritime et aérien, afin de contrôler la formation des prix outre-mer et de lutter
contre le dumping. Six années plus tard, le décret n'a toujours pas paru comme si le lobby de l'import-export avait trouvé quelque
protecteur dans quelque ministère.
La situation de
l'outre-mer repose sur une fiction. Le professeur Lampué enseigne que le pacte colonial
est « aujourd'hui unanimement condamné » parce qu'« on a reconnu que la
fin à poursuivre est le développement propre de chaque pays et que, par suite, les
intérêts de ses habitants doivent y avoir la primauté ». Si le professeur peut se
contenter de cet indéfini, il me plairait fort que ce « on » ait le visage de
la gauche plurielle !
Cette loi d'orientation
est de bonne inspiration : essayons donc de l'améliorer fortement. Elle peut
supprimer les difficultés d'aujourd'hui, mais elle ne serait que cautère sur une jambe
de bois si elle ne s'attaquait aux racines de ces difficultés. Et demain, il faudrait
recommencer si elle n'était renforcée par une solide loi d'incitation à
l'investissement.
Inciter à investir,
certes, mais pas n'importe comment. S'il est vrai que l'avenir des DOM est dans le
tourisme, alors encourageons sans réserves toutes les professions qui permettront de
développer ce que l'on peut appeler le tourisme actif et le tourisme identitaire.
Tourisme
actif, car il assurera le voyageur qu'il consomme notre production locale, qu'il nous
faudra donc développer. Cela implique donc des mesures en faveur de nos agriculteurs, de
nos éleveurs, de nos marins-pêcheurs. Cela signifie, en particulier, de ne pas
entretenir les déficits d'exploitation des domaines agricoles, en prévoyant des prêts
d'avance sur récolte à taux zéro sous certaines conditions, l'extension des assurances
contre les calamités naturelles et la révision des procédures de paiement des
indemnités compensatoires, dont le Gouvernement devrait par ailleurs s'engager à
négocier avec Bruxelles la régionalisation. Il conviendrait également d'étudier la
faisabilité d'une filière « bio » martiniquaise.
Le tourisme doit, aussi,
être identitaire, ce qui signifie que toutes les activités touchant à la culture
d'outre-mer devront être soutenues, qu'il s'agisse des métiers d'art, des arts
plastiques, de la littérature ou des manifestations sportives...
Ces mesures, qui devront
être prises un jour, vont de pair avec des incitations à la coopération régionale.
Nous sommes entourés d'îles avec lesquelles nous sommes en compétition, et nous devons
être en contact permanent avec elles. L'Etat doit donc nous reconnaître la possibilité,
dans la limite des compétences d'un territoire qui n'a pas la souveraineté nationale et
qui ne la revendique pas, d'arrêter avec les territoires voisins des conventions et
actions communes. En bref, l'Etat doit nous reconnaître le droit de nous insérer dans
notre sphère géographique. J'ai déposé un amendement à cette fin, qui vise, à peine
de ridicule, que chaque DOM soit représenté, dans sa région, par un seul
exécutif : celui de la région.
Tout cela aurait pu être
traité en profondeur dans le projet. Reste à savoir comment passer des principes à
l'application. Comment les élus locaux pourront-ils exercer leur contrôle ? C'est
l'aspect institutionnel du texte, et chacun connaît ma position à ce sujet : c'est
aux élus qu'il reviendra tôt ou tard de gérer toutes les affaires propres à leur
territoire. Rien, là-dedans, d'une revendication incantatoire, mais une exigence et une
contrainte, car l'autonomie, pour la bien nommer, s'exerce sous le contrôle constant du
peuple qui a élu. Elle est dans l'ordre des choses, car il n'est d'action efficace que
pensée sur le terrain.
Votre projet prévoit de
pousser deux assemblées qui mijotent sur le même territoire à délibérer, ensemble, de
l'avenir. Toutes les tendances s'exprimeront enfin, les bouches se délieront, rien n'est
plus porteur d'espérance. Mais il y a au moins deux manières de provoquer cette
rencontre, et je me réserve de préciser mon sentiment lors de l'examen de
l'article 39. Pour l'heure, j'aborde le débat dans un esprit constructif, critique
peut-être, mais assurément un esprit de proposition (Applaudissements sur les bancs
du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).
M. Pierre Petit -
Mon propos d'aujourd'hui sera exclusivement politique car les difficultés que nous
rencontrons dans les départements d'outre-mer sont d'abord d'origine politique.
Monsieur le secrétaire
d'Etat, vous êtes de ceux qui avez le mieux compris les problèmes de l'outre-mer, mais
votre volonté d'agir trouve ses limites dans l'obstination de votre gouvernement à ne
pas entendre les élus des DOM qui, dans leur majorité, ont désapprouvé votre projet.
Après deux ans de
gestation, vous soumettez à la représentation nationale un projet qui ne correspond
malheureusement ni à l'évolution sociologique ni aux aspirations exprimées par la
grande majorité des élus lors du débat du 23 octobre 1998, tenu à votre
initiative.
Les départements
d'outre-mer sont parvenus à un stade de leur évolution où la prise de conscience
identitaire doit coïncider avec le niveau de responsabilité des élus.
Nous sommes confrontés
à une double crise : celle du pouvoir local et celle du pouvoir économique, mais le
mal qui nous frappe est exclusivement d'ordre politique.
Nous étions donc dans
l'attente d'une nouvelle dynamique institutionnelle dans les DOM, d'une simplification des
niveaux de pouvoir avec l'installation d'un exécutif responsable devant une assemblée
désignée par la population et qui détiendrait réellement les leviers de commande de
l'action publique.
Or, ce que vous nous
proposez, c'est un exécutif en trompe-l'_il, un congrès dont la seule mission sera de
jouer les prolongations du débat sur la question institutionnelle.
Nous revendiquons pour
les départements d'outre-mer, et notamment pour la Martinique, un dispositif global de
développement durable, approuvé par la population, à partir duquel nous pourrions
définir avec l'Etat un nouveau contrat de progrès incluant un projet de développement
et un plan de financement, avec les lois et les règlements appropriés.
Pourquoi ce refus de
toute évolution décisive ? Serions-nous confrontés aujourd'hui à une forme
insidieuse d'immobilisme ?
Nous étions pourtant
prêts à faire un bout de chemin avec vous pour parvenir à une réforme de fond de
l'organisation des pouvoirs locaux dans les DOM et à la création d'un nouveau cadre
légal pour le développement économique de nos régions, notamment par l'adoption d'un
nouveau statut fiscal et social pour les entreprises.
Nous
étions, aussi, disposés à soutenir une réforme institutionnelle inscrite dans la
Constitution.
Mais vous avez choisi de
ne rien changer, et d'ignorer le discours d'ouverture prononcé par le Président Jacques
Chirac, le 11 mars, à la Martinique. Nous avons le sentiment de revivre le
« syndrome de mai 1902 » lorsque, comme vous vous en souvenez, la population
avait été maintenue à Saint-Pierre, malgré les menaces du volcan et malgré les
demandes répétées d'évacuation. Vous connaissez la suite : tous les habitants ont
péri.
Aujourd'hui, toutes
proportions gardées, il en va de même. Le Gouvernement reste sourd à nos mises en
garde, alors que la structure économique et sociale des départements d'outre-mer, et
notamment de la Martinique, implose.
J'ose à peine, Monsieur
le secrétaire d'Etat, vous rappeler que le chômage et l'exclusion frappent 52 000
des nôtres, que 27 000 de mes compatriotes sont allocataires du RMI, et que les
artisans, les petits entrepreneurs et les travailleurs indépendants sont dans la rue à
l'heure où je vous parle, ce qui n'a rien d'un hasard.
Nous sommes à la veille
d'une implosion sociale que les dispositions de votre projet ne pourront que retarder
sans, malheureusement, permettre de l'éviter.
Nous ne refusons pas les
quelques adaptations et les crédits proposés car, en période de crise il faut s'avoir
s'accommoder du remède qui calme la douleur même si le soulagement n'a pas de portée
durable. Mais les DOM ne veulent pas seulement des crédits il veulent surtout accéder à
un modèle de développement qui leur ouvre de véritables perspectives d'avenir et de
dignité.
Ne vous y trompez
pas : sans projet global, plus l'Etat versera de fonds publics dans nos régions et
moins de décollage économique il y aura.
Nos régions, et
singulièrement la Martinique, souffrent d'une crise de confiance, et sans cette
confiance, il n'y aura ni investissements ni créations d'entreprises ni donc impact sur
l'emploi et le développement. Seul un petit nombre d'opérateurs, bien souvent les
mêmes, disposant des moyens humains, techniques, et financiers bénéficieront des
facilités apportées par votre texte.
Votre projet ne répond
pas à cette question qui est devenue mon antienne : « Quel développement pour
quelle Martinique ? »
Seul un projet de
société global, un projet de développement durable au service d'une ambition collective
pourra devenir l'instrument d'une nouvelle dynamique politique et économique dans nos
régions.
Comprenons-nous bien.
Nous ne sommes pas partisans d'un schisme avec la France et avec l'Europe, mais nous
voulons « mieux d'Europe » et « mieux de France » pour être des
Martiniquais responsables et fiers de l'être.
L'expérience de la
Corse prouve que ce n'est ni à coup de milliards, ni en ébauchant un exécutif régional
sans réel pouvoir que l'on peut obtenir des résultats concrets. Et même celles des
dispositions de votre texte qui me satisfont sont
trop dispersées pour déclencher une réelle dynamique de développement à la Martinique
et, plus globalement, dans les DOM.
Dans la seconde partie de
votre projet, vous placez les deux assemblées locales en concurrence. Ce n'est pas bien,
et vous ne réglez pas le problème de fond : la nécessaire réorganisation des
pouvoirs locaux, y compris sur le plan de la coopération régionale.
Enfin, de nombreuses
questions essentielles restent sans réponse.
Qu'en est-il de la zone
franche de la Martinique actuellement sinistrée ? Sait-on assez que la perte de 250
emplois dans le secteur de l'ananas représenterait pour la Martinique l'équivalent de
près de 40 000 emplois perdus en métropole ?
Qu'en est-il enfin du
règlement du statut du personnel non titulaire des communes de la Martinique qui, malgré
l'aide promise, grève les budgets de nos collectivités, qui sont les plus grands
employeurs du pays ?
Monsieur le secrétaire
d'Etat, j'ai le sentiment que nous nous sommes fait piéger et que le projet que vous
défendez ne répond pas à ce que vous souhaitiez entreprendre pour les départements
d'outre-mer.
Aussi longtemps que le
Gouvernement ne comprendra pas que les départements d'outre-mer sont parvenus à un stade
de leur évolution tel que la responsabilité doit se substituer à la dépendance et le
développement durable à l'assistanat, nous aurons le sentiment de n'avoir pas changé de
siècle. Nous voulons être écoutés et, surtout, entendus.
En conclusion, Monsieur
le secrétaire d'Etat, vous me permettrez de citer Sénèque : « Il n'y a pas
de vent favorable pour le navigateur qui ne sait où il va ». C'est le cas de la
Martinique actuellement (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF
et du groupe DL).
M. Jacques
Brunhes - Ce texte est très attendu, car il conditionnera l'avenir des DOM au cours
de la prochaine décennie. Or leur situation est particulièrement inquiétante.
L'échec des politiques
menées est patent. Elles ont conduit à l'impasse. Nul ne peut nier les efforts du
Gouvernement, qui sont considérables, mais dont les effets restent nécessairement
limités. La Réunion, avec un taux de croissance de 5 %, crée 3 500 emplois
nets par an, mais 10 000 jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail. A
la Guadeloupe, en Guyane et à la Martinique, le chômage est endémique, représentant 30
à 40 % de la population active.
Cette situation nous
oblige à procéder autrement qu'au coup par coup.
Il faut agir à court
terme, car il y a urgence, mais aussi à moyen et long terme. Une loi d'orientation peut
nous y aider. Vous en avez la volonté, puisqu'on trouve dans l'exposé des motifs cette
exigence d'un nouveau pacte républicain, d'un nouveau pacte de développement. Telle est
l'ambition affichée. Mais les moyens mis en _uvre sont-ils suffisants ?
« Le défi du
développement doit être relevé », disait Paul Vergès au Sénat. Je me demande si
les mesures inspirées du rapport Fragonard et les préconisations du chapitre premier
ouvrent bien une voie nouvelle de développement. Ne s'agit-il pas, plutôt, d'un simple
ajustement ?
Les DOM ont des atouts et
ils peuvent conquérir des parts de marché. Malgré leurs problèmes de formation, ils
ont une avance considérable sur les pays voisins, ce qui peut leur permettre de
contribuer à notre rayonnement et jouer un rôle important dans les transferts de
technologie.
Le nouveau pacte de
développement doit se fonder sur la croissance.
Il faut en
finir avec ces économies artificielles, ne fonctionnant que par le recyclage de subsides
nationaux ou européens, qui ont transformé la solidarité en assistance.
Pour y parvenir, il faut
réaliser l'égalité sociale, c'est-à-dire harmoniser tous les revenus et aligner le RMI
sur celui qui, versé en métropole, d'autant que le SMIC est déjà identique.
Or cet alignement n'est
prévu, dans votre projet, que dans un délai de cinq ans. Je sais bien que le dispositif
est mal maîtrisé. Toutefois, sans vouloir compromettre le financement du logement social
par la créance de proratisation, j'estime que c'est trop long. Les élus, les syndicats,
les associations réclament un alignement immédiat. Vous proposez de ramener, par un
amendement, ce délai à trois ans. C'est encore trop long, Monsieur le secrétaire d'Etat
(Applaudissements sur les bancs du groupe RCV).
De même, l'allocation de
parent isolé ne sera accordée dans les mêmes conditions qu'en métropole qu'au terme
d'un délai de sept ans. C'est long, c'est très long, c'est beaucoup trop long !
Les mesures en faveur de
la création d'emploi doivent s'inscrire dans une stratégie globale de développement. Or
l'incitation demeurera sélective.
Il faut craindre que les
mesures relatives aux entreprises de moins de onze salariés aient des effets pervers. Ne
risque-t-on pas d'assister à des démembrements artificiels ?
Je veux évoquer ici le
cas de Jacques Bertholle, ce responsable de la direction du travail de la Martinique
victime de sa détermination à appliquer le droit du travail, malgré les pressions des
« békés ». Cette affaire témoigne du climat social qui règne dans les DOM.
Les institutions,
l'organisation des pouvoirs publics ont partie liée avec le développement : pas de
développement sans équilibre politique ni aménagement territorial.
En Nouvelle-Calédonie,
vous avez su maintenir le dialogue entre les communautés et procéder aux réformes
d'émancipation nécessaires. Vous avez su innover, trouver un équilibre, faire des
concessions, y compris en dérogeant à la Constitution, ce qui nous a amenés à
Versailles.
Le volet institutionnel,
dans sa dernière version, est très édulcoré. Parce que vous avez redouté la censure
du Conseil constitutionnel, le congrès n'est plus une nouvelle instance de
délibération. Ses prérogatives sont réduites, sa réunion n'est plus de droit. Malgré
la minutieuse préparation de ce projet, vous êtes sur ce point très loin de la version
initiale.
Comme l'a souhaité Mme
Taubira-Delannon en commission, j'espère que ce débat nous permettra d'aller plus loin.
L'article 38, qui porte
sur la bidépartementalisation de la Réunion, a l'air d'affoler la droite. La commission
des lois, en septembre 1999, s'est rendue à Mayotte pour étudier le futur statut de ce
territoire. Nous nous sommes arrêtés à la Réunion, où nous n'avons pas fait que
visiter la prison de Saint-Denis. Nous avions évoqué la bidépartementalisation de
l'île et je suis surpris que ceux qui avaient défendu cette idée,
M. Elie Hoarau, M. André Thien Ah Koon, se montrent
aujourd'hui réticents.
Si mon groupe estime la
bidépartementalistion nécessaire, ce n'est pas pour une quelconque cuisine électorale,
mais parce qu'il faut rééquilibrer l'économie de la Réunion. Il y a là-bas un
problème évident d'aménagement du territoire. Le dispositif de l'article 38
pourrait contribuer à y remédier. Il faudrait aussi envisager de revoir le découpage
communal, ainsi que le demandent de nombreux élus. Nous avons déposé un amendement en
ce sens.
Un autre amendement de
mon groupe vise à interdire tout transfert de charges qui ne s'accompagnerait pas d'un
transfert de ressources.
Monsieur le secrétaire
d'Etat, je veux aborder un point qui n'a guère été évoqué, en dépit de son
importance : il s'agit de l'éducation, essentielle au développement. Nous
souhaitons insérer un article additionnel après l'article 17 sur cette question.
Il faut enfin
reconnaître l'identité culturelle de ces communautés ultramarines. « Culture
unique égale mort de tout culture » : c'est ainsi que Marie-Claude Tjibaou et
Paul Vergès ont intitulé l'appel qu'ils ont publié contre la mondialisation culturelle.
Oui à l'universel, non à l'uniformisation.
Le groupe communiste sera
attentif à la manière dont vous accueillerez ses observations. Il souhaite améliorer ce
projet (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe RCV et sur
quelques bancs du groupe socialiste).
M. André
Thien Ah Koon - Dans un contexte où trop de nos compatriotes sont confrontés à la
misère et à la précarité, mon combat vise à ce que la devise « Liberté,
égalité, fraternité », soit une réalité chez nous aussi. J'attends donc que ce
projet permette de réaliser définitivement : l'égalité sociale, avec l'alignement
immédiat du RMI et de l'API ; l'égalité institutionnelle, avec la création du
deuxième département, et l'égalité économique, au service du développement et de
l'emploi.
L'égalité sociale,
d'abord.
Pourquoi repousser de
cinq ans l'alignement du RMI ? C'est une insulte profonde à notre citoyenneté
française. Après tant d'années d'esclavage et de colonisation, devons-nous encore
réclamer notre dû ? Je demande que cet alignement soit effectif immédiatement et
qu'il soit ainsi mis un terme à des années de discrimination.
Par ailleurs, dans nos
communes, 11 000 agents engagés au service de la population attendent depuis cinquante
ans l'adoption d'un statut. Or rien n'est prévu dans la loi pour eux.
Autre sujet qui nous
interpelle : quel sera le sort réservé aux contrats emplois-jeunes et aux
CEC ? Que feront-ils au bout de leurs cinq ans ? Vous les faites vivre dans
l'angoisse d'un lendemain incertain, Monsieur le ministre.
S'agissant de l'égalité
institutionnelle, c'est avec grande émotion que je salue la création d'un deuxième
département à la Réunion.
Depuis 1976, en tant que
député de la majorité présidentielle et fervent défenseur de la Réunion terre
française, je défends les intérêts de la population du sud et je plaide pour un
rééquilibrage entre les différentes parties de l'île. Je me réjouis donc que cette
idée, de nature à assurer l'ancrage définitif de la Réunion dans la France, ait peu à
peu fait l'unanimité ou quasiment, aussi bien auprès des élus nationaux que des élus
locaux. C'est une victoire considérable sur l'autonomie et les dérives statutaires. De
son côté, le Président de la République, qui est le garant des institutions et de
l'unité de la République s'est prononcé favorablement, à deux reprises, pour la
bidépartementalisation.
La création d'un
deuxième département permettra une plus juste répartition des crédits, dégagera des
moyens supplémentaires pour le développement dans le sud, et apportera des
améliorations importantes à la vie quotidienne des Réunionnais. Sa mise en place doit
se faire dans les plus brefs délais, c'est-à-dire au plus tard en 2001.
Un plan ambitieux de
rattrapage des retards n'en sera pas moins nécessaire, qui devra notamment prévoir la
construction d'un port en eau profonde, l'extension de la piste de l'aérodrome de
Pierrefonds à 3 200 mètres, le développement de l'université du Sud et de l'IUT
de Saint-Pierre, celui aussi des ports de pêche de l'Etang-Salé, de Saint-Joseph et de
Saint-Philippe, celui du port de plaisance de Saint-Leu...
De plus, créer un
deuxième département à la Réunion, c'est rapprocher les administrés des services
publics et des élus, ainsi que le préconise la loi Voynet. Et le renforcement de la
décentralisation n'est pas un luxe dans une île qui comptera un million d'habitants dans
deux décennies.
Notre vote sera solennel
et historique car il s'agira d'écarter définitivement le risque de dérive
institutionnelle. Il sera ainsi mis fin à tous les odieux chantages au statut. Je tiens
à ce stade à rendre hommage aux anciens qui ont mené avant nous ce combat, je pense en
particulier à Michel Debré, qui a consacré une grande partie de sa vie au Réunionnais
et qui nous a laissé en héritage cette flamme et cet amour de la France toujours
présents dans le c_ur de chaque Réunionnais. Je dirai avec lui : « Français
un jour, Français toujours ». Et je remercie le Gouvernement d'avoir entendu la
voix des Réunionnais, c'est-à-dire celle du bon sens et de la foi en la France.
La Réunion avec deux
départements, c'est aussi une porte ouverte sur notre environnement régional, de Mayotte
aux Terres australes. La création d'une région française de l'Océan indien permettra
à notre pays de jouer un rôle majeur dans une zone en pleine mutation, carrefour entre
l'Europe, l'Inde, l'Afrique et l'Asie.
Par contre, le volet
économique de votre projet, Monsieur le ministre, manque d'ambition et se contente de
juxtaposer des mesures, dont certaines sont d'ailleurs intéressantes, mais la Réunion a
besoin d'un plan Marshall global. Il n'est cependant pas trop tard pour agir et, en
particulier, pour mettre en place un dispositif de préretraite à partir de 52 ans,
avec obligation d'embauche d'un jeune pour un départ ; pour proroger jusqu'à 2004
la loi Pons ; pour créer des « ports francs » et des « entreprises
franches » qui permettraient à notre île, d'attirer des entreprises et des
investisseurs étrangers, et par conséquent des capitaux, mais aussi de créer des
milliers d'emplois, comme c'est le cas aujourd'hui à l'île Maurice.
Enfin je demande que l'on
fasse réellement respecter l'interdiction des grands groupes monopolistiques. J'ai
d'ailleurs déposé un amendement à ce sujet.
Au nom de tous ceux qui
placent en nous leurs espoirs d'une société plus juste et plus solidaire, je souhaite
que nous adaptions ce projet de sorte qu'il puisse figurer au fronton de notre histoire en
lettres d'or, tout comme l'abolition de l'esclavage en 1848 et la création en 1946 de la
Réunion comme département français d'outre-mer. Nous n'avons plus droit à l'erreur (Applaudissements
sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).
M. Alfred
Marie-Jeanne - Ce projet aurait, dit-on, pour finalités premières de promouvoir le
développement durable, de compenser les retards d'équipements et d'accroître les
responsabilités. Mais entre ces objectifs et le contenu, il existe un fossé que nul
amendement ne saurait combler. En effet, ce projet ne répond pas aux attentes actuelles
du peuple martiniquais, dont on sait l'aspiration inextinguible au changement responsable.
Faire la sourde oreille,
continuer à jouer tranquillement la montre, c'est augmenter les risques de perturbations
en tout genre. L'heure n'est plus aux tergiversations, car toute société mise en
situation de dépendance extrême finit par sombrer dans une vulnérabilité qui compromet
sa survie. Il est donc temps de rompre avec cette spirale qui déresponsabilise les
citoyens et les élus.
C'est pourquoi la plupart
des courants de pensée revendiquent un bloc de pouvoirs opérationnels qui permette à la
collectivité martiniquaise d'assumer pleinement son rôle. Aussi attendions-nous un
projet qui corresponde à la demande de la société, un projet qui nous dote de
l'instrument institutionnel capable d'accompagner l'économique, le développement
durable, le fiscal, le social, le culturel et l'éducatif, en somme un projet sortant de
l'ordinaire et ayant une portée thérapeutique, un projet prenant sa source dans une
démarche volontariste, impliquant d'abord les intéressés eux-mêmes.
Ce projet existe. Il est
condensé dans la déclaration de Basse-Terre du 1er décembre 1999,
initiée par les présidents des régions de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique -dont
je suis. La solution envisagée permet de s'affranchir de la théorie de l'adaptation,
strictement bornée par l'article 73 de la Constitution, et vise à créer une
collectivité nouvelle appelée « région outre-mer », dans le cadre plus
approprié de l'article 72. Une refonte totale, ni déchirante, ni humiliante mais
dans laquelle la France n'aura rien à perdre et la Martinique tout à gagner, s'impose.
Une proposition de loi constitutionnelle en ce sens sera déposée dans les semaines à
venir.
En totale opposition avec
cette démarche, le Gouvernement a fait le choix d'un projet de loi d'orientation qui fait
référence au dogme de DOM, comme si le monde n'avait pas évolué depuis plus d'un
demi-siècle. Et ce n'est pas l'instance bâtarde dénommée « congrès » qui
facilitera l'approche sereine des problèmes.
Visant avant tout à
court-circuiter toute évolution statutaire, ce projet confine l'élu dans un rôle
subalterne.
Ce projet
« patchwork » n'a ni souffle, ni fil conducteur. Il ne contient que quelques
transferts, octroyés après maintes réclamations et des mesures socio-économiques
relevant pour la plupart du domaine réglementaire qui resteront globalement
inefficaces : « Sé gran van, piti kout baton » ou
« Révolution » dans un verre d'eau.
En outre, le texte est
porteur de beaucoup de peu, avec ou sans « t », et possibilité ne vaut droit.
Monsieur le
ministre n'avez-vous pas déclaré le 15 septembre 1999 : « En ce qui concerne
l'outre-mer, je suis convaincu depuis longtemps qu'il n'existe ni schéma, ni modèle.
Chaque société a son histoire, chaque territoire sa géographie, chaque peuple ses
aspirations et ses besoins propres. Le manteau institutionnel doit épouser autant que
faire ce peut le corps vivant de la société ».
Oui, le manteau
institutionnel doit prendre en compte la déclaration de Basse-Terre que vous avez
accueillie avec le mépris le plus souverain.
Par quels moyens
allez-vous encore nous berner ?
De quelles initiatives
voulez-vous encore nous priver ?
Quelles solutions
prétendez-vous encore nous refuser ?
N'aurait-il pas mieux
valu distinguer les mesures urgentes de celles qui doivent faire l'objet d'une large
concertation ?
Compte tenu de l'absence
de lisibilité du projet, du jeu pervers de marionnettiste que vous entendez nous faire
jouer en matière de coopération régionale, de la non reconnaissance du droit d'accès
préférentiel à l'emploi, de l'évolution statutaire inexistante et du recours excessif
aux ordonnances, je ne puis approuver ce projet. Monsieur le ministre, ne vous en prenez
pas à ceux qui font preuve d'audace : plaignez plutôt ceux qui l'ont perdue.
Mme Christiane
Taubira-Delannon - Très bien ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV
et sur quelques bancs du groupe du RPR)
M. Philippe
Chaulet - Dix-neuf mois après qu'il eut été annoncé, ce projet vient enfin en
discussion. Son volet économique et social se résume à un élargissement du champ
d'application de la loi Perben de 1994 que vous avez toujours combattue, tout comme la loi
Pons que vous avez tuée.
Dans son volet
institutionnel, vous essayez tant bien que mal de répondre aux aspirations des DOM qui
veulent être acteurs de la coopération interrégionale et vous remettez sur le chantier
la question des institutions par une voie détournée en créant un congrès des
assemblées locales au sein des trois régions monodépartementales.
Monsieur le ministre,
vous savez pertinemment que cette démarche est aventureuse et que le Conseil
constitutionnel risque de la sanctionner.
Je ne puis ensuite que
déplorer la méthode d'élaboration de ce projet. La qualité des différents rapports
qui l'ont inspiré n'est pas en cause mais alors qu'un débat de fond devait se tenir sur
les moyens d'approfondir la décentralisation, vous avez été en définitive le chef
d'orchestre d'une véritable cacophonie et sur les huit exécutifs locaux que comptent les
DOM, six ont désapprouvé le projet du Gouvernement. Une méthode plus pragmatique aurait
permis à chaque département d'élaborer dans la concertation un pacte de développement.
Monsieur le
ministre, votre projet est surtout riche en incohérences et il est inconsistant :
« Grand wache ti coup de bâton ».
Pour illustrer son
incohérence, je retiendrai l'exemple du plan d'apurement fiscal prévu à l'article 6.
Cette disposition est redondante avec l'article L. 247 du livre des procédures
fiscales et il aurait donc suffi que le Gouvernement sensibilise par la voie
réglementaire les services fiscaux de chaque DOM pour la bonne application de cet
article, afin que tout contribuable en difficulté puisse bénéficier de remises fiscales
à titre gracieux.
Votre projet est ensuite
inconsistant en ce qu'il passe sous silence plusieurs sujets essentiels, qu'il s'agisse de
l'investissement privé -régi naguère par la loi Pons-, du transport terrestre des
personnes -et qu'en est-il à cet égard du mémorandum d'octobre 1999 rédigé par les
professionnels du secteur en liaison avec les élus- ou du régime des catastrophes
naturelles, pour lequel vous ne proposez aucune avancée alors que nous demandons depuis
longtemps son extension à la couverture des effets des vents cycloniques.
Enfin, votre silence au
sujet du régime fiscal dans les îles du Nord -Saint-Martin et Saint-Barthélémy- est
scandaleux. J'avais déposé deux amendements tendant à donner à ces deux communes le
statut de zones franches mais l'article 40 les a laminés.
Je vous tiens, Monsieur
le ministre, pour responsable de la situation explosive qui règne à Saint-Martin car
vous avez fait beaucoup de promesses et aucune n'a été tenue.
Pouvez-vous nous garantir
que les nombreux décrets nécessaires à l'application de ce projet de loi seront pris
dans les meilleurs délais ?
Nos compatriotes de
l'outre-mer, et singulièrement les Guadeloupéens, s'interrogent sur leur place dans ce
monde qui change.
Or votre projet ne peut
en aucune manière atténuer leur malaise, auquel concourt l'assistanat humiliant dans
lequel ils sont tenus.
A plusieurs reprises,
vous avez fait référence au Président de la République mais votre projet, qui manque
d'ambition, reste très en-deçà des propositions qu'il a formulées dans son discours de
Madiana (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).
M. Louis
Mermaz - Ce projet de loi d'orientation pour l'outre-mer concerne le développement
économique, la situation sociale, les relations internationales et l'évolution
institutionnelle. L'essentiel cependant, c'est
que des garanties soient données aux uns et aux autres sur le maintien de l'unité de la
République.
La Guyane, les Antilles
et la Réunion présentent des caractéristiques très diverses. Tous ces territoires sont
profondément inscrits dans l'histoire de notre pays et à chaque fois que l'idée de la
République l'a emporté, des progrès décisifs ont été accomplis. Il faut persévérer
dans cette voie et inscrire toujours plus avant les DOM dans la République, qu'il
s'agisse du statut des personnes ou de la citoyenneté. Mais il y a aussi l'isolement de
l'outre-mer, de la Guyane, au c_ur du continent américain, des autres DOM, du fait de
l'insularité, et les retards d'adaptation qui en découlent.
Aujourd'hui, les
inégalités sociales y demeurent plus fortes qu'en métropole. Vont-elles, sous l'effet
de ce projet de loi d'orientation, reculer de façon décisive ?
La commission d'enquête
sur les prisons revenant des départements d'outre-mer, je voudrais lancer un cri. La
prison de Basse-Terre, est indigne de la République : douze prisonniers sont
enfermés dans des petites cellules sans éclairage, ne contenant qu'un seul tabouret,
vingt-deux heures sur vingt-quatre ; les sanitaires sont immondes. Il faut faire
cesser cette situation, de même que celle de la prison de Saint-Denis.
La République a
entraîné les DOM dans l'Union européenne ; cela leur permet de bénéficier de
fonds structurels, ce qui est important.
Le projet de loi
d'orientation vise à maintenir l'unité, mais aussi, dans ce but, à accomplir des pas
décisifs. Il comporte des dispositions d'ordre économique, social et culturel et ouvre
la voie à une évolution des institutions locales, dans le respect de la Constitution.
Il est très attendu dans
les DOM, où les taux de chômage sont au moins doubles de ceux que nous connaissons dans
l'hexagone. Les allégements de charges sociales, les aides en direction des jeunes, la
remise ou l'échelonnement de dettes fiscales ou sociales, l'alignement progressif du RMI,
ainsi que de l'allocation de parent isolé constituent des avancées importantes ;
mais il faudra veiller à ce que les pauvres profitent en priorité des mesures prises en
direction des entreprises.
Sur le plan culturel,
plusieurs dispositions sont excellentes : IUFM en Guyane, soutien aux langues
régionales...
Des responsabilités
nouvelles sont confiées aux assemblées territoriales, la DGF augmente pour les communes,
les conseils généraux pourront augmenter les taxes sur les tabacs... Tout cela va dans
le bon sens.
Nous nous réjouissons
aussi des premiers pas qui sont faits pour permettre aux DOM de développer leurs
relations avec leur environnement géographique : possibilité de conclure, avec
l'aval du Gouvernement, des accords de coopération régionale, de participer à des
organisations régionales et à des négociations internationales...
En ce qui concerne les
institutions, le Conseil constitutionnel a imposé en 1982 l'existence dans les DOM d'un
conseil régional et d'un conseil général. Mais l'article 73 de la Constitution
permet d'entrouvrir une porte : à la Réunion, la cause de la
bidépartementalisation semble entendue ; dans les trois autres départements, le
conseil régional et le conseil général pourront se réunir en congrès, et celui-ci
soumettre au vote de chacune de ces assemblées des propositions d'évolution
institutionnelle. Celles-ci, une fois votées, seront transmises au Gouvernement, qui
pourra consulter les populations par référendum. Le mécanisme est lourd, mais si
une volonté populaire s'exprime, on peut être certain que le Gouvernement en tiendra
compte.
Pour conclure, je veux
insister sur la nécessité, face à la mondialisation, de maintenir des liens forts entre
la métropole et les DOM, en leur évitant d'être victimes des lois impitoyables du
marché. Ce texte permettra, nous l'espérons, le développement d'une agriculture
vivrière, et celui d'activités secondaires et tertiaires, en particulier d'un tourisme
qui profite à l'ensemble de la population.
Sur le plan social,
Monsieur le ministre, nous aimerions, bien sûr,
que vous alliez un peu plus vite... Je sais bien que les mêmes qui, lorsqu'ils sont
candidats à la députation, sont pleins d'audace, lorsqu'ils ont des fonctions
ministérielles manifestent plus de réserve... Néanmoins, la générosité politique
doit parfois l'emporter sur les contraintes budgétaires. Il faudrait aller plus vite pour
le RMI, pour la remise des dettes ; il faudrait tendre vers l'égalité d'accès aux
fonctions publiques -et nous défendrons un amendement au sujet de la prime
d'éloignement.
Il faut aussi ouvrir les
départements d'outre-mer sur le reste du monde, ce qui contribuera au rayonnement de la
France, et faire évoluer les institutions locales, en faisant davantage confiance à la
population et aux élus. Faisons en sorte que l'égalité des droits devienne
réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe
communiste et du groupe RCV)
M. Léon Bertrand
- Il aura fallu près de deux ans de contacts avec les différents partenaires
d'outre-mer pour aboutir à ce projet de loi d'orientation.
Sur le plan
institutionnel, je ne suis pas du tout favorable à l'idée du congrès ; néanmoins,
le fait de renvoyer à une consultation populaire modère le dispositif. Celui-ci aura le
mérite d'interrompre un vieux débat institutionnel qui pollue la vie politique de
l'outre-mer.
Pourquoi avoir tiré à
boulets rouges sur la loi Pons ? Pour la remplacer, les élus attendaient du
Gouvernement un texte audacieux. Certes, l'exonération des charges fiscales et sociales
ainsi que l'effacement de dettes sont intéressantes, mais ces mesures seront sans effet
si un dispositif n'est pas mis en place pour encourager l'investissement : sans
patrons, l'exonération de charges ne sert à rien ! Nous prenons acte de votre
engagement de proposer un nouveau dispositif de défiscalisation dans les plus brefs
délais.
Je demande depuis des
années une définition claire des relations que la France entend avoir avec son
outre-mer. Rappelons-nous ce que disait André Malraux : « A choisir entre
l'intérêt national et la justice sociale, il faut privilégier le premier car, à
travers lui, on peut faire la justice sociale, alors que l'inverse n'est pas
faisable ». Autrement dit, la politique passe avant toute chose. Or votre texte
s'appuie trop sur les bons sentiments ; il y manque une ligne politique.
A déprécier les
représentants de la nation, le Gouvernement se discrédite lui-même, et c'est la rue qui
gouverne au gré de ses humeurs ou de sa fantaisie.
Il n'y a jamais eu de
sérieuses évaluations sur l'adaptation en outre-mer des lois prises pour l'ensemble de
la nation. Pourtant, appliquées telles quelles dans le contexte particulier de nos
régions, elles ont des effets catastrophiques. La loi sur la nationalité provoque une
immigration massive et incontrôlée ; depuis ce texte, les Français sont
minoritaires en Guyane française. L'interdiction de faire jouer la préférence nationale
pour l'inscription des enfants dans les écoles fait que le contribuable français paie
pour multiplier les classes dont les Français sont de plus en plus absents. L'accession
à la nationalité française est facilitée, et les droits sociaux sont ouverts de
facto aux enfants d'étrangers nés sur le sol français, alors que de futures mères
entrent illégalement sur le territoire aux seules fins d'obtenir ces droits.
Ce contexte
vous est connu, Monsieur le secrétaire d'Etat, et vous conviendrez que, même au nom de
principes généreux, un élu ne peut accepter de voir ainsi déstabilisée la société
dont il a la charge.
Je disais qu'on ne peut
indéfiniment imposer de lois qui ne soient pas adaptées à l'outre-mer :
M. Foyer, en 1982 déjà, posait que « l'adaptation ne saurait porter atteinte
à l'esprit général ou aux dispositions essentielles de nos principes
républicains ». M'appuyant sur son autorité, j'ai donc déposé des amendements
pour conjurer ces dérives.
C'est ainsi que j'ai
proposé de doter l'hôpital de Saint-Laurent d'un statut international : les enfants
qui y naîtraient garderaient alors la nationalité de leur mère. La mesure peut
paraître audacieuse, mais ne peut-on innover ici comme on l'a fait pour l'aéroport de
Bâle-Mulhouse ? Réputé pour les recherches qu'on y mène sur les maladies
tropicales, l'établissement verrait sa position confortée ; on lui ouvrirait la
possibilité d'échanges avec les organismes de santé internationaux et le bénéfice
d'aide. Peut-être même -pourquoi pas ?- aura-t-il la possibilité de présenter aux
pays limitrophes les créances qu'il a sur leurs ressortissants...
J'ai également
présenté un amendement sur la bidépartementalisation. Je sais, certes, qu'il est
contraire à l'article 40 mais ne m'avez-vous pas ouvert la voie avec votre article
39 ? On m'a aussi objecté qu'il faudrait un consensus des élus sur le sujet, mais
ne soyons pas naïfs : ce consensus ne se fera jamais ! En effet, la majorité
des élus est à Cayenne où dans les communes voisines. Pourquoi céderaient-ils une
parcelle de pouvoir et des ressources à une partie du territoire que la plupart
ignorent ?
Ainsi, le
conseil général bénéficie d'un prélèvement de 35 % sur l'octroi de mer, pris
sur la part destinée aux communes. Cette disposition, qui devrait être transitoire,
existe maintenant depuis plus d'un quart de siècle. Je propose de réduire
progressivement cette anomalie. Nul ne peut être favorable au déséquilibre des finances
départementales, ni laisser se perpétuer un abus. Je souhaite donc que le Gouvernement
tranche une fois pour toutes la question.
S'agissant de la dotation
forfaitaire aux communes, je présente également un amendement tendant à une
répartition plus adaptée aux particularités de chaque commune et non fonction de sa
seule population.
En vertu de grands
principes d'un autre temps, on déstabilise nos micro-sociétés d'outre-mer, favorisant
les revendications autonomistes. Ces dernières ne sont pas dues à un rejet de la France,
mais au décalage grandissant entre les réalités sociales et une loi constitutionnelle
de plus en plus tentaculaire et rigide. Je reste néanmoins persuadé que la
départementalisation est toujours un cadre utile pour la vie de l'outre-mer
français : encore faudrait-il que la Constitution lui permette de s'adapter à la
mondialisation que la géographie de cet outre-mer symbolise (Applaudissements sur les
bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).
Mme Huguette Bello -
Ces deux journées de débat représentent, à n'en point douter, le grand rendez-vous du
gouvernement Jospin avec les départements d'outre-mer. Nous ne sous-estimons pas
l'ampleur de votre tâche, ni ne méconnaissons, Monsieur le secrétaire d'Etat, votre
souci de doter nos départements d'une grande loi qui en favorise l'évolution au cours de
la prochaine décennie.
Ce projet global est
aussi le premier texte dans lequel les DOM sont traités, non comme un ensemble homogène,
mais en fonction de l'histoire, de la situation dans le temps et dans l'espace, de la
réalité de chacun et des désirs de sa population. C'est aussi la première fois que
sont aussi nettement reconnues les appartenances multiples de ces départements et qu'au
lieu d'opposer ces solidarités diverses, on se propose de les concilier. Île de l'océan
Indien, département d'outre-mer, région européenne, la Réunion doit pouvoir désormais
se prévaloir de ses trois identités pour assurer son développement. Sur ce chemin, les
obstacles seront nombreux, mais c'est en les affrontant résolument et sans
arrière-pensées, qu'on se donnera les chances les plus grandes de sortir du désarroi et
de l'impasse actuels.
En consonance avec
l'intervention de mon collègue Elie Hoarau, j'insisterai sur la partie de ce projet qui
traite de l'égalité sociale et de la lutte contre les exclusions. Il est tout d'abord
évident que cette loi devra rester dans les mémoires comme celle qui aura parachevé
sans détour ni délai le processus d'égalité sociale commencé en 1946, puis plongé
dans un long sommeil, avant d'être réactivé par le président Mitterrand en 1988. Les
générations futures ne comprendraient pas que votre Gouvernement ait manqué ce
rendez-vous avec l'Histoire : leur jugement serait aussi sévère que celui que les
jeunes adultes d'aujourd'hui portent sur la parité sociale imposée jadis à leurs
parents.
Nous avons déposé
plusieurs amendements en vue de concrétiser enfin cette égalité sociale entre tous les
citoyens. Nous ne laisserons pas l'article 40 servir de moyen commode à un nouveau
report. Pour non-spécialistes qu'elles soient des arcanes de la loi, les populations, à
la Réunion comme ailleurs, ne confondent pas droiture et artifice !
Toute la question est en
effet de savoir si l'égalité républicaine est ou non un des principes fondateurs de la
République et le moyen de faire d'une terre de misère un sol de justice et d'égalité.
Comment justifierions-nous, nous, les héritiers de cette espérance, que des
considérations indignes de ce débat repoussent une fois de plus à un futur lointain ce
que le plus simple sentiment de justice impose ? Si de bons apôtres allaient
prétendre que l'égalité immédiate entraînerait de vilains effets pervers pour la
société réunionnaise, pourrions-nous empêcher que, du fond de notre mémoire, ne
surgisse le souvenir de l'imposture des esclavagistes, refusant l'abolition pour le bien
des esclaves mêmes et la gloire des colonies ?
Ce n'est pas
le RMI qu'il faut maîtriser, mais la misère et l'injustice. Pourquoi ce revenu minimum
est-il devenu, dans notre île, un tel catalyseur, sinon parce qu'il est désormais
l'irréfutable témoin, non seulement de l'égalité que l'on proclame, mais aussi de la
sincérité avec laquelle on la proclame ?
Le revenu minimum
d'insertion dans cinq ans ou trois ans ? L'allocation parent isolé dans
sept ans ? MM. les pauvres ont le temps devant eux ! Et quid de
l'allocation pour jeune enfant, du complément familial ou de l'allocation versée aux
femmes qui ont élevé cinq enfants ? Ces carences, ces restrictions, ces silences
n'ont pas leur place dans ce texte.
Le débat nous permettra
de préciser ces différents points, le même souci exigeant de justice sans détour ni
délai, guidant chacune de nos interventions (Applaudissements sur les bancs du groupe
RCV).
M. Anicet Turinay
- Le 23 octobre 1998, vous annonciez Monsieur le secrétaire d'Etat, le dépôt pour
l'automne de 1999 d'un projet de loi d'orientation marquant pour les départements
d'outre-mer « une nouvelle étape : celle du développement durable ».
Aujourd'hui débute la
discussion de cette loi. C'est bien la première fois que le gouvernement Jospin marque
son intérêt pour l'outre-mer mais le texte tant attendu est enfin arrivé et j'y
souscris, d'autant plus volontiers que le volet « développement économique et
emploi » a été mis au premier plan, alors que l'avant-projet donnait la priorité
à l'évolution institutionnelle. Arbitrage du Conseil d'Etat oblige...
Cependant, si l'on semble
avoir tenu compte des attentes des populations, la satisfaction que j'ai éprouvée en
lisant les grands titres de ce projet s'est vite muée en déception quand j'ai pris
connaissance des articles.
Le titre Ier « Le
développement économique et l'emploi » consiste essentiellement en l'exonération
de cotisations patronales, l'allégement des cotisations sociales, l'instauration d'une
prime à la création d'emploi. On ne fait donc que prolonger le dispositif de la loi
Perben qui a certes permis la création d'emplois mais n'a pas abouti au décollage
économique espéré. On ne trouve aucune incitation à l'investissement, aucune allusion
à une fiscalité adaptée aux besoins en matière d'emploi, à la détérioration du
ratio coût du travail/productivité, à la frilosité des banques, à l'exiguïté et à
l'insularité de nos territoires, à l'éloignement géographique qui accroît le coût du
transport et complique les transactions avec l'extérieur, ni à une certaine inertie
administrative. Il est pourtant urgent que s'ouvre un débat sur tous ces problèmes. De
même en ce qui concerne les délicates questions de la prime d'éloignement et de la
surrémunération. Compte tenu des conditions de vie dans les départements d'outre-mer,
il convient d'examiner la justification de ces majorations de salaires qui ne contribuent
que faiblement au développement local, puisque l'épargne qu'elles génèrent repart en
grande partie vers la métropole.
Leurs effets
pervers sont en revanche nombreux : elles exercent une constante pression à la
hausse sur les salaires et les prix ainsi que sur le coût des services bancaires ;
elles nuisent à l'investissement, à l'emploi et à la compétitivité des
DOM. Enfin, elles entretiennent les tensions sociales dans ces départements où les
inégalités sont très fortes, et les municipalités qui souhaitent titulariser leur
personnel contractuel ne le peuvent pas, faute de détenir un budget correspondant à la
prise en charge des 40 %.
Les syndicats, les élus
locaux et le Gouvernement doivent donc engager la concertation nécessaire pour étudier
une sortie progressive de ce système et la réaffectation des montants dans nos
économies.
L'alignement du RMI est
fondé sur la recherche de l'égalité sociale. Mais y procéder sans avoir au préalable
recentré le dispositif sur des politiques d'insertion plus efficace serait une erreur qui
grèverait durablement l'économie, aggravant les phénomènes d'assistance et de travail
informel, couramment dit « travail au noir ». C'est pourquoi, je souhaite que
soient retenus mes amendements sur le RMI et l'API qui visent à étendre ces aides dans
les DOM en dix ans (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).
J'insiste sur ce point car, ni l'allocation de retour à l'activité ni le titre de
travail simplifié ne seront suffisants, dans l'immédiat, pour contenir l'attribution du
RMI. Il faut donc renforcer les contrôles mais, surtout, améliorer l'insertion pour
financer l'emploi et non le chômage.
L'alignement du RMI dans
les DOM aura aussi pour conséquence la perte de la créance de proratisation. Le logement
étant une compétence de l'Etat, ce dernier doit continuer à répondre aux besoins
importants en ce domaine, et maintenir l'aide à la pierre spécifique pour le logement
social. Dans le cadre de l'unification des barèmes de l'allocation logement, j'ai
déposé un amendement visant à aligner le barème unique DOM sur celui de la métropole,
afin d'améliorer l'efficacité sociale de l'allocation logement.
Les sociétés d'HLM
m'ont alerté sur le poids de la taxe foncière sur la propriété bâtie, qui grève
lourdement leur budget. La solidarité entre l'Etat et les collectivités locales devrait
intervenir afin de la plafonner à 10 % du montant total des loyers annuels. Je
souhaite que l'amendement que j'ai déposé en ce sens soit retenu.
Le titre IV me satisfait,
car c'est la première fois qu'un texte reconnaît l'usage du créole dans les
départements d'outre-mer. En revanche aucune disposition ne favorise l'apprentissage de
l'anglais ou de l'espagnol alors que notre environnement géographique est exclusivement
anglophone et hispanophone, ce qui me paraît incohérent. Il est donc indispensable
d'enseigner l'anglais ou l'espagnol à nos écoliers. Cet apprentissage favoriserait
l'embauche de nombreux jeunes originaires de nos départements formés à cet
enseignement. Nos départements ont également besoin de formations dans le domaine des
nouvelles technologies de communication et de l'information. Tout cela devrait être
débattu avec le ministre de l'Education nationale, afin qu'il nous garantisse des moyens
budgétaires suffisants.
Votre texte
n'a ni l'ambition ni la volonté de donner aux départements d'outre-mer une réelle
compétence en matière d'action internationale, puisque leur rôle reste confiné à la
simple représentation de la France, et strictement subordonné à l'autorisation de
l'Etat. Si le Gouvernement souhaite que se réalise une coopération effective dans nos
régions, il doit laisser les départements gérer, même partiellement, leurs relations
avec les pays proches, et appliquer aux DOM un régime dérogatoire leur conférant une
initiative propre en la matière.
Le transfert de
compétences de l'Etat vers les collectivités locales répond à une demande unanime des
élus locaux. Mais les moyens suivront-ils ? Depuis le transfert aux communes de la
gestion des écoles, nombreuses sont les municipalités qui ne peuvent assumer l'entretien
et la réparation des établissements scolaires car les crédits pour grosses réparations
ont été supprimés. Nous devons donc avoir l'assurance que les budgets correspondants
aux nouvelles compétences attribuées sont maintenus et versés.
Par ce texte, le
Gouvernement crée un congrès dans chaque région d'outre-mer monodépartementale. Cette
instance qui réunit conseil général et conseil régional doit saisir le Gouvernement de
toute proposition relative à une évolution institutionnelle. Mais six assemblées sur
les huit consultées ont porté un avis négatif sur cette création, ce qui démontre que
cette structure ne correspond pas à l'objectif prioritaire des élus et de la population.
En donnant l'impression qu'un pouvoir est dévolu aux collectivités locales pour modifier
les institutions, on aboutira inéluctablement à une rupture de confiance entre la
population et les élus locaux.
Inutile et dangereux, ce
projet de congrès a de plus été jugé non conforme à la Constitution par le Conseil
d'Etat le 30 mars 2000. J'ai donc déposé un amendement de suppression du congrès
qui se justifie d'autant plus que l'article 73 de la Constitution offre encore des
espaces de liberté inexploités, et que l'entrée en vigueur de l'article 299-2 du
Traité d'Amsterdam permet une meilleure prise en considération des spécificités des
départements d'outre-mer dans l'espace communautaire.
Votre texte, Monsieur le
ministre, a raté le coche. Il est dommage que vous n'ayez pas eu le courage de vous
attaquer aux vraies difficultés pour faire des propositions utiles (Applaudissements
sur les bancs du groupe du RPR).
M. Léo Andy -
Ce projet est la réponse apportée par le Gouvernement à une très forte demande
exprimée par les parlementaires domiens, le 23 octobre 1998, lors de la discussion
du débat budgétaire sur l'outre-mer, et relayée par tous les acteurs politiques,
sociaux et économiques des DOM en raison du profond malaise affectant nos pays.
C'est un malaise
identitaire lié à une histoire tragique, toujours présente dans la mémoire
collective : à cet éloignement géographique de la métropole et de l'Europe dans
laquelle ils sont pourtant intégrés ; à ce découpage de leur environnement
régional auquel ils appartiennent cependant par leur culture. C'est aussi un malaise
économique lié à leur « mal-développement », qui résulte de handicaps
structurels désormais reconnus dans le traité de l'Union, et qui se traduit par une
croissance inégale et inégalitaire, et par une dépendance extrême à l'égard de
l'extérieur. C'est un malaise social enfin,
lié à la désagrégation du tissu familial, à la crise des valeurs, au dés_uvrement
d'une jeunesse frappée par un taux record de chômage et à la dichotomie d'une société
où les poches de richesse avoisinent la misère et l'exclusion du plus grand nombre.
A ce malaise général,
le Gouvernement a bien voulu répondre par un projet global. Il convient de saluer cette
volonté ambitieuse ainsi que la démarche de longue concertation, qui a présidé à
l'élaboration de ce projet et que rappelle l'exposé des motifs. C'est bien la première
fois dans l'histoire des DOM qu'une telle démarche de concertation précède
l'élaboration d'un projet. C'est tout à l'honneur du Gouvernement.
En bref, ce projet est en
quelque sorte l'émanation des forces vives des DOM et le reflet de ses préoccupations.
Nous sommes loin donc de la pratique antérieure consistant à imposer « d'en
haut », ou plutôt « de loin » des textes souvent en décalage avec les
attentes locales. Cette démarche est inédite et l'esprit qui la sous-tend nous
permettra, j'en suis convaincu, de parfaire le projet, lors de la discussion des articles.
Car l'enjeu de ce débat
est de taille. Le dispositif législatif qui en résultera va déterminer l'avenir de nos
territoires, leur développement durable permettant de combattre ce fléau du chômage qui
les mine, assurer leur épanouissement culturel fondé sur la reconnaissance de leur
identité plurielle, accroître leur responsabilité politique, traduite par une gestion
largement décentralisée de leurs affaires et par des institutions permettant de
l'exercer.
Et puisque l'enjeu est
large, il est de notre devoir de faire de ce texte l'outil le plus approprié pour
réussir ce pari de la dernière chance en l'améliorant là où il le faut afin de
rédiger une grande loi pour l'outre-mer, qui fera date.
Prenons acte d'abord de
l'effort financier sans précédent consenti par l'Etat en faveur de l'emploi et de
l'activité économique, qui constituent, je le relève avec satisfaction, « une
priorité pour la Nation » selon l'article premier du projet. Ainsi, le dispositif
étendu d'allégement et d'exonération des cotisations de sécurité sociale concernera
plus de 100 000 salariés, c'est-à-dire près de la moitié des salariés du
secteur privé, et neuf entreprises sur dix. Si on y ajoute l'aide supplémentaire
consentie en cas d'accord sur la réduction du temps de travail, le coût budgétaire pour
l'Etat est estimé a près de 3,5 milliards de francs, et donc à 35 000 F
par salarié et par an.
Mise en place du
« projet initiative-jeune », allocation de retour à l'emploi, création du
titre de travail simplifié : on voit l'ampleur de l'effort. La loi Perben du
25 juillet 1994 ne concernait que 40 000 salariés, pour un coût de
800 millions. Pourtant, elle a eu, incontestablement, des effets positifs. La
création d'emploi a été quatre fois plus importante dans les secteurs exonérés que
dans ceux qui ne l'étaient pas et le travail illégal a reculé.
Nous pouvons donc
escompter que la nouvelle loi aura encore plus d'effet. Cependant, Monsieur le secrétaire
d'Etat, il faut améliorer et renforcer votre texte. Plusieurs amendements ont été
adoptés au sein des trois commissions saisies et je souhaite que le Gouvernement les
accepte.
S'agissant de
l'exonération des cotisations patronales de sécurité sociale, il faut craindre les
effets de seuil. Nous devons éviter que des entreprises de onze ou douze salariés
licencient pour pouvoir bénéficier des exonérations. Il est indispensable que le
bénéfice de cette mesure reste acquis aux entreprises qui, créant des emplois,
dépasseraient le seuil.
Il ne me paraît pas
convenable d'exclure les secteurs de pointe du dispositif.
Par ailleurs, pourquoi
avoir fixé le plafond d'exonération à 133 % du SMIC ? Mieux vaudrait le
porter à 150 %, par analogie avec le dispositif des zones franches urbaines.
Monsieur le
ministre, l'importance du chômage des jeunes et de la pression démographique justifient
la mise en place d'un dispositif généralisé de départ à la retraite à 52 ans,
assorti d'une obligation d'embauche de jeunes de moins de 30 ans. Cette mesure,
préconisée dans le rapport Fragonard, aurait un fort impact sur l'emploi. C'est dans le
même esprit que j'avais proposé la mise en place des mesures de « discrimination
positive » visant à favoriser l'emploi local. Malheureusement, on a opposé
l'article 40 à mon amendement. Pourtant, l'outre-mer a besoin d'une thérapie de choc, de
mesures radicales, pour surmonter ses handicaps structurels.
Je forme le v_u que les
mesures d'alignement du RMI et de l'allocation de parent isolé, interviennent dès le
vote de cette loi, et non progressivement, sur 5 et 7 ans. Je demande également,
Monsieur le secrétaire d'Etat, que l'engagement que vous avez pris sur le financement par
l'Etat du logement social, après la suppression de la créance de proratisation, figure
dans le texte de loi. Je souhaite aussi que mon amendement tendant à porter
l'augmentation de la DGF à 250 millions, adopté par la commission des lois, soit
voté par l'Assemblée.
S'agissant des mesures
relatives aux langues régionales, la volonté du Gouvernement est certes louable, mais
comment se concrétisera-t-elle ? Le créole sera-t-il autorisé officiellement à
l'école ? Autrement dit, la loi Deixonne sera-t-elle applicable aux langues
régionales d'outre-mer ? Je vous renvoie au rapport sur les langues et cultures
régionales que Bernard Poignant a remis au Premier ministre le 1er juillet
1998.
J'avais déjà dit à
l'ancien ministre de l'éducation nationale, Claude Allègre, qu'il fallait mettre au
programme scolaire des DOM-TOM, mais aussi de la métropole, l'enseignement de l'histoire
et de la civiliatioin des Antilles et de l'outre-mer en général, afin de mieux faire
comprendre aux jeunes générations les relations qui existent entre la France et ces
terres lointaines que certains ont appel « les confettis de l'empire ».
Quant à la décision
d'établir l'égalité du prix du livre entre la métropole et les DOM, je m'en réjouis.
Cependant, il reste à rassurer les libraires sur le surcoût lié aux frais de transport
et de stockage.
Le volet relatif à
l'approfondissement de la décentralisation répond à une très forte demande des élus
et de la population d'outre-mer. Cela est particulièrement vrai dans le domaine de la
coopération régionale, puisque le texte autorise la délégation des pouvoirs de l'Etat
au présidents des conseils régionaux ou généraux des DOM pour négocier et signer des
accords avec les Etats voisins et les organismes régionaux. Lorsqu'il s'agit des domaines
de compétence du département ou de la région, cette possibilité est de droit, dans le
respect des engagements internationaux de la France. Ainsi les DOM deviennent, selon
l'expression utilisée par le Président de la République lors de son récent voyage aux
Antilles, « des acteurs de plein exercice de la coopération avec leur environnement
régional » et « les représentants et les porte-parole naturels de la France
et de l'Europe » dans leur zone respective.
Dans le même esprit il
me semble souhaitable que les présidents des régions ou leurs représentants
participent, au sein de la délégation française, aux négociations avec l'Union
européenne concernant la définition et la mise en _uvre des politiques ou des mesure
découlant de l'article 299-2 du traité de l'Union. En effet, compte tenu des enjeux,
pour les DOM, des propositions d'actes communautaires pris en application de cet article,
il est nécessaire que ceux-ci soient associés en amont des décisions.
Le transfert
de nouvelles compétences aux collectivités territoriales en matière d'exploitation des
ressources naturelles de la mer, de construction et de gestion des routes nationales, de
valorisation des énergies renouvelables et de gestion de l'eau témoigne effectivement
d'une volonté d'approfondir la décentralisation et je m'en félicite. Mais, Monsieur le
secrétaire d'Etat, c'est faire preuve de frilosité, voire de méfiance, que de
n'attribuer qu'une coprésidence avec le préfet de l'office de l'eau, au président du
conseil général. De même, il est incompréhensible que le conseil départemental de
l'habitat soit présidé conjointement par le préfet et le président du conseil
général.
Concernant le chapitre
institutionnel, je dois vous faire part de la déception, voire de l'incompréhension
d'une majorité de Guadeloupéens. Dans la mesure où notre demande d'une assemblée
unique, dans une région monodépartementale, se heurte à un obstacle constitutionnel,
nous avons accepté ce compromis qu'était le congrès dans le rapport de nos collègues
Claude Lise et Michel Tamaya et dans l'avant projet de loi.
Composé des conseillers
régionaux et des conseillers généraux, le congrès était habilité à saisir
directement le Gouvernement de toute proposition relative à la répartition des
compétences des collectivités locales et à l'évolution institutionnelle. Dans ce
dernier cas, sur la base des propositions du congrès, le Gouvernement pouvait organiser
une consultation pour avis des populations concernées et, dans l'hypothèse d'un vote
favorable, consentir des modifications statutaires en procédant, le cas échéant, à une
révision constitutionnelle.
C'était une démarche
démocratique, transparente et responsable : le congrès était considéré comme un
lieu de débat. Le Gouvernement, quant à lui, acceptait implicitement le principe d'une
évolution statutaire différenciée pour chaque DOM.
Cette avancée
était d'autant plus appréciable que le Président de la République avait donné son
accord. Lors de la consultation qu'il a organisée à l'Elysée avec nous, avant son
voyage aux Antilles début mars, puis lors de ce voyage, sans trancher sur les diverses
options allant de l'autonomie jusqu'au renforcement de la départementalisation, il s'est
en effet déclaré ouvert à des évolutions institutionnelles
« sur mesure », soulignant que toutes les orientations étaient
« admissibles » à condition qu'elles s'inscrivent dans le cadre de la
République et qu'elles soient approuvées par le peuple des DOM.
Dans ce contexte, le
projet du Gouvernement nous ouvrait une nouvelle perspective. Or le Conseil d'Etat fait du
congrès une coquille vide. En effet, si le projet en discussion maintient la réunion en
congrès des deux assemblées locales, les délibérations sont renvoyées à chacune
d'entre elles pour un vote. C'est uniquement lorsque le conseil régional et le conseil
général auront émis un vote conforme que la proposition pourra être transmise au
Gouvernement pour la deuxième étape, celle de la consultation populaire.
Ce n'est pas un simple
alourdissement de la procédure ; il s'agit d'un recul qui risque de se traduire par
un véritable blocage, tout au moins en Guadeloupe, où il est difficile de faire
coopérer deux assemblées qui n'ont pas la même majorité. Je rappelle aussi qu'à
l'heure actuelle, il est déjà courant de réunir ces deux instances pour débattre des
questions d'intérêt commun. Faut-il vraiment légiférer pour créer un organisme qui
n'aura ni pouvoir, ni légitimé ?
S'il est vrai que les
questions de développement sont prioritaires chez nous, je ne crois pas que les
problèmes institutionnels n'ont pas d'incidence sur les mesures prises en matière
économique.
Mon département
témoigne des dysfonctionnements inhérents à la coexistence des deux assemblées sur un
même territoire. Nous ne pouvons pas faire l'économie d'une réflexion sur la création
d'une nouvelle collectivité, dans le cadre de la République, qui bénéficierait
progressivement d'une autonomie grandissante. Le congrès doit demeurer ce lieu de débat
permanent, permettant aux élus des deux assemblées de proposer des mesures au
Gouvernement chaque fois qu'un vide juridique apparaît ou qu'une loi se révèle
inapplicable.
Le chapitre
institutionnel mis à part, ce projet répond globalement à la crise multiforme qui
affecte l'outre-mer. Tant dans son esprit que dans son contenu, il correspond aux attentes
des Domiens. Enrichi par les amendements, ce projet qui deviendra la loi Queyranne fera
date dans l'histoire de l'outre-mer mais je suis convaincu que d'autres devront être mis
en chantier pour briser le carcan du Conseil constitutionnel et donner de vraies
responsabilités à ces populations qui souhaitent s'épanouir par le travail et la
dignité dans le cadre de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe
socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).
La discussion générale est close.
M. Jean-Jack
Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer - Je ne répondrai pas ce
soir à l'ensemble des intervenants puisque la discussion des articles m'en donnera plus
ample occasion mais je voudrais revenir sur deux points : la méthode et les
objectifs.
La méthode,
d'abord. Ce texte est le produit d'une longue concertation, certains diront même trop
longue, puisque le débat a été lancé il y a 18 mois avec les élus bien sûr mais
aussi avec tous les acteurs sociaux, économiques et culturels de l'outre-mer. Fin 1999,
nous avons ainsi reçu plus de 200 contributions. C'est dire que le débat a été riche,
digne du « banquet philosophique » dont parlait Mme Taubira-Delannon.
Contrairement à ce qu'a dit M. Debré, il n'y a pas eu d'improvisation. D'ailleurs, le Président de la République s'est
référé, dans son discours de Madiana, à cette concertation. Nous ne sommes pas
davantage dans le virtuel, Monsieur Douste-Blazy, mais bien dans un texte qui entend
aborder l'ensemble des problèmes, étant entendu cependant que certains sujets tels
l'immigration relèvent du droit commun et que d'autres, comme la défiscalisation, seront
revus plus tard. Reste que cette méthode d'élaboration a révélé dans la société
locale une réelle volonté de prendre en main l'avenir de l'outre-mer.
Les objectifs, ensuite.
Tout le monde reconnaît que l'outre-mer a des handicaps -chômage, inégalités,
mal-développement- qui s'expliquent par la géographie ou l'histoire. Mais peu
d'orateurs, sinon M. Mermaz, ont souligné qu'il a aussi beaucoup d'atouts, tels que
la formation des hommes, le niveau des services publics, l'adossement à un ensemble non
seulement national mais européen. L'article 299-2 du traité d'Amsterdam marque bien -ce
fut ma première préoccupation lorsque je suis devenu secrétaire d'Etat, à quinze jours
des négociations d'Amsterdam- la reconnaissance par l'Union européenne du rôle joué
par les DOM, de ce qu'ils représentent pour elle dans les trois grandes zones
géographiques où ils se situent.
Par ailleurs, chacun sait
que ces départements sont à un tournant de leur histoire, après celui, essentiel, qui a
constitué en 1946 la départementalisation. Depuis ce choix, fait pour sortir du statut
de colonies et aller vers l'égalité et dont personne ne conteste aujourd'hui la
pertinence, beaucoup de chemin a été parcouru.
Ils sont à un tournant
parce qu'ils ne peuvent plus vivre en circuit fermé avec la métropole, ni dans les
restes de ce que Camille Darsières appelait le « pacte colonial ». Il leur
faut aussi sortir des réflexes anciens de recours systématique à l'Etat.
Dans les six ans à
venir, les départements d'outre-mer vont bénéficier d'un doublement des crédits
européens, des mesures de la présente loi et
d'une défiscalisation renouvelée, c'est-à-dire qui ne concerne pas seulement
l'immobilier. Durant cette période, ils auront donc les moyens de leur développement
économique. C'est une chance à saisir pour sortir du cycle de la dépendance et de
l'assistanat. Il ne faut pas la manquer car il est probable que dans sept ans, l'Europe
élargie n'aura pas autant de moyens à consacrer à l'outre-mer et aussi parce que, si
l'on ne met pas à profit cette période pour créer une économie viable, la
mondialisation nous submergera. Mais si nous savons valoriser les atouts de l'outre-mer,
nous pouvons réussir, j'en suis convaincu.
Un autre objectif de ce
projet est l'ouverture des DOM à leur environnement régional, ce qui représente,
croyez-moi, une petite révolution pour l'administration des affaires étrangères. Dans
cette démarche, la loi Joxe, qui concrétisait une idée de Michel Rocard, avait
constitué une première étape.
Autre objectif de
taille : l'affirmation de l'identité culturelle car si 1946 était le temps de
l'égalité, nous en sommes aujourd'hui, comme le dit Aimé Césaire, à celui de
l'identité. Son affirmation ne passe d'ailleurs pas seulement par des mesures
législatives. Une exposition comme celle qui est envisagée l'an prochain à la Cité des
Sciences, sur tous les apports de l'outre-mer à la recherche scientifique -je pense
notamment aux recherches sur les récifs coralliens, dont la France est fort bien pourvue- est aussi de nature à mettre en valeur
l'identité culturelle des DOM. Leur culture faite de métissage, de créolité et
d'appartenance à la République, est très riche. Les DOM se situent en effet au
carrefour de plusieurs cultures et civilisations et ont à ce titre un rôle particulier
à jouer.
Avec ce projet, il s'agit
de donner à chaque département d'outre-mer la possibilité d'imaginer son avenir. Nous
rompons ce faisant avec le principe d'uniformité, comme l'a souligné Mme Bello. Je note
à ce propos que toute la droite -sauf peut-être M. Turinay- souhaite des
changements constitutionnels, c'est-à-dire que l'on sorte du cadre de l'article 73 pour
aller vers une évolution plus différenciée, avec divers transferts de compétences et
de pouvoirs. Pourquoi pas ? Mais, vous le savez, une révision constitutionnelle ne
peut se faire que dans un consensus large. Elle ne peut être imposée par une majorité
à une minorité.
Donnons au congrès des
départements d'outre-mer la possibilité de mettre en _uvre le changement et
détournons-nous des prises de position trop radicales, même si elles posent les enjeux
du débat. Recherchons donc le consensus sur le plan local : il sera source de
changement au niveau national. Reprenons la démarche de 1946 qui a créé la
départementalisation pour traduire dans la loi la volonté de l'outre-mer. Tel est le
souhait du Gouvernement que je tenais à rappeler dès ce soir. Je reste bien entendu
ouvert à tous les amendements qui pourront enrichir le texte (Applaudissements sur les
bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).
La suite de la discussion est renvoyée
à la prochaine séance, qui aura lieu ce jeudi 11 mai à 10 heures.
La séance est levée à 1 heure 30.
Le Directeur du service
des comptes rendus analytiques,
Jacques BOUFFIER
© Assemblée nationale
|