Session ordinaire de 1999-2000 - 83ème jour de
séance, 195ème séance
1ÈRE SÉANCE DU MERCREDI 10 MAI 2000
PRÉSIDENCE de
M. Pierre-André WILTZER
vice-président
LOI
D'ORIENTATION POUR L'OUTRE-MER
L'ordre du jour
appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi d'orientation
pour l'outre-mer.
M. Jean-Jack
Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer - Le 23 octobre 1998, à
l'occasion de la discussion du budget de mon département, l'ensemble des députés de
l'outre-mer avait souhaité un grand débat sur l'avenir de ce dernier. Au cours de ce
débat, le Gouvernement confirma sa décision de lancer, sur la durée de la législature,
un vaste chantier de réforme. Il annonça aussi le dépôt du présent projet de loi
d'orientation.
Ce texte est le fruit
d'une réflexion et d'une concertation menées pendant plusieurs mois avec les élus, avec
les responsables socio-économiques et toutes les forces vives de l'outre-mer. Plusieurs
rapports, en particulier ceux des sénateurs Lise et de votre collègue Tamaya, ont aussi
contribué à l'élaboration d'un document-cadre qui a lui-même fait l'objet d'une large
consultation, suscitant remarques et propositions : le Gouvernement en a tenu
largement compte.
La concertation a fait
apparaître l'ampleur des attentes, parfois d'ailleurs contradictoires. Une loi
d'orientation ne saurait toutefois résoudre tous les problèmes. D'ailleurs, le
Gouvernement a pris, pour les seuls DOM, 38 ordonnances depuis la loi d'habilitation du
2 mars 1998 ; il a fortement accru la contribution de l'Etat aux contrats de
plan et obtenu de l'Union européenne un doublement des fonds structurels ; enfin, en
accord avec les assemblées locales, il a soumis aux instances communautaires un
mémorandum tirant les conséquences du nouvel article 299-2 du traité instituant la
Communauté européenne.
La concertation sur ce
projet a été l'occasion de débats passionnels sur les questions institutionnelles et
administratives. En revanche, sur les sujets économiques, sociaux et culturels,
l'essentiel de nos propositions a reçu un accueil favorable, sous réserve de certaines
améliorations. Je m'en réjouis d'autant plus que mon dernier prédécesseur à avoir
voulu légiférer sur les DOM, avait vu six assemblées sur huit rejeter ses propositions,
en 1994. En matière institutionnelle, le débat devait être ouvert, mais il ne pourra
être clos rapidement, tant les positions sont diverses. Ce projet, amendé, marquera
cependant une étape essentielle pour les DOM, de ce point de vue comme du point de vue
économique.
Il s'articule autour de
huit grands axes : développer l'activité et la compétitivité des entreprises afin
de surmonter les handicaps propres à ces départements ; donner à chaque jeune la
chance d'occuper un véritable emploi ; lancer un plan volontariste de lutte contre
l'exclusion par le renforcement du dispositif de retour à l'activité ; promouvoir
l'égalité sociale ; permettre aux DOM d'affirmer leur identité ; franchir une
nouvelle étape dans la décentralisation en attribuant des responsabilités et des
ressources nouvelles aux collectivités locales ; permettre à chaque département
d'outre-mer de définir sa voie d'évolution au sein de la République ; enfin,
étendre en les adaptant certains des dispositifs proposés à Saint-Pierre-et-Miquelon
tout en rénovant la démocratie locale.
Ainsi est définie une
priorité pour la nation tout entière : cette loi ne saurait en effet être
considérée comme destinée au seul outre-mer. C'est tout notre pacte républicain qui
est en cause, ou, pour reprendre les termes d'Aimé Césaire concluant le 12 mars 1946 son
rapport sur le projet de départementalisation, l'exercice de cette « fraternité
agissante aux termes de laquelle il y aura une France plus que jamais unie et diverse,
multiple et harmonieuse ».
En premier
lieu, il s'agit d'accroître fortement la compétitivité des entreprises dans des
départements d'outre-mer confrontés aux handicaps structurels que sont l'éloignement et
l'exiguïté de leur marché intérieur, reconnus dans le traité instituant la
Communauté européenne. A ce titre, ces départements sont aujourd'hui les seules
régions françaises d'objectif 1, et ils bénéficieront, pendant la période
2000-2006, de 23 milliards de fonds structurels.
Les arbitrages rendus par
le Premier ministre permettront également qu'ils bénéficient de crédits d'Etat dans le
cadre des contrats de plan Etat-région, en augmentation de plus de 46 %, soit
5,6 milliards. S'ajouteront les crédits des collectivités locales, pour
9 milliards environ, si bien que pour les sept ans à venir, l'économie des
départements d'outre-mer bénéficiera de 37 milliards, qui se comparent aux
19,7 milliards de la période précédente.
Considérable, cet effort
est nécessaire pour fonder les bases d'un développement durable, où le niveau de la
commande publique restera une variable clé.
L'intégration
économique des départements d'outre-mer à la métropole et à l'Union européenne est
évidemment un formidable atout, maintenant incontesté. Encore faut-il permettre à leurs
entreprises de lutter à armes égales avec leurs concurrents, non seulement sur leur
propre marché mais aussi sur les marchés extérieurs.
Il y a un volet qui ne
figure pas dans le projet mais qui vous préoccupe légitimement : le soutien aux
investissements économiques dans les départements d'outre-mer. Le dispositif de
défiscalisation actuel vient à son terme. Il a, certes, suscité des excès, des effets
pervers, mais il a aussi favorisé l'investissement productif outre-mer.
Le Gouvernement estime
qu'un nouveau dispositif est indispensable. Il doit viser à favoriser l'investissement
sur place des capitaux disponibles outre-mer tout autant que des capitaux extérieurs.
Le Premier ministre s'est
engagé à ce que ce nouveau dispositif soit défini d'ici la fin de cette année. Un
groupe de travail a été créé à cet effet, et je renouvelle ici, pour éviter toute
ambiguïté, cet engagement. Le nouveau dispositif sera mis en place d'ici la fin de
l'année, soit par voie d'amendement à la présente loi, soit dans la loi de finances
pour 2001, selon la date à laquelle il sera prêt.
Le deuxième aspect de la
compétitivité des entreprises tient à leurs coûts d'exploitation, et particulièrement
au coût du travail. Un dispositif d'exonérations de cotisations de sécurité sociale en
faveur des secteurs dits « exposés », avait été introduit par la loi du
25 juillet 1994 proposée par M. Perben.
L'article 2 englobe ce
mécanisme pour en faire un dispositif structurel de développement économique et de
l'emploi, sous réserve des observations éventuelles des instances communautaires,
auxquelles il a été notifié. Je peux déjà vous le dire, pour l'essentiel, les
propositions gouvernementales recueillent un avis favorable de Bruxelles.
Le projet tient compte de
l'expérience acquise et s'attache à dépasser les quatre limites du dispositif actuel.
Quelles sont-elles ?
En premier lieu, sa
durée, limitée à cinq ans, ne permettait pas aux entreprises de faire des projets de
développement à moyen terme. Ensuite, l'obligation d'être à jour de ses cotisations,
ou d'avoir signé un plan d'apurement, a éliminé un tiers des entreprises représentant
20 % des salariés concernés. Encore, un énoncé trop restrictif des secteurs
exonérés. Enfin, le niveau de l'exonération, limité au SMIC, était trop faible, en
particulier pour tous les secteurs qui ont besoin de main-d'_uvre qualifiée.
Les résultats obtenus
sont modestes, et nous devons faire beaucoup mieux. C'est pourquoi le Gouvernement a
beaucoup élargi le dispositif, pour un coût annuel de l'ordre de 3,5 milliards,
soit quatre fois le coût du dispositif actuel. Je dis bien « quatre fois »,
pour que l'on mesure l'ampleur de l'effort, notamment lorsqu'il y a débat sur tel ou tel
point particulier.
Le nouveau dispositif ne
sera pas limité dans le temps, afin que les entreprises puissent faire des projets
durables de développement, ce qui ne dispensera pas d'effectuer des évaluations
périodiques, notamment de créations d'emplois. De telles évaluations sont d'ailleurs
demandées par les autorités européennes.
L'obligation d'être à
jour de ses cotisations est supprimée, car elle condamnait des entreprises en
difficulté. De la sorte, le tiers des entreprises qui étaient éliminées jusqu'à
présent seront réintégrées.
Le champ d'application
des secteurs dits « exposés » a été élargi ; ainsi, tous les secteurs
du tourisme et, par exemple, les locations de voiture, entreront dans le champ, et non
plus seulement l'hôtellerie et la restauration. De même, à la demande des milieux
économiques et des élus, il est proposé d'intégrer également le secteur du BTP, avec
une exonération partielle. J'ajoute que le Gouvernement déposera un amendement visant à
faire bénéficier des exonérations les secteurs des nouvelles technologies de
l'information et de la communication.
Suivant les
recommandations du rapport Fragonard, afin d'abaisser le coût du travail dans les
entreprises potentiellement créatrices d'emplois tout en luttant contre le travail
dissimulé, le projet vous propose aussi d'étendre les exonérations à toutes les
entreprises de moins de 11 salariés, quel que soit leur secteur d'activité.
Le Gouvernement propose
également de très importants allégements des cotisations et une grande simplification
pour les employeurs et travailleurs indépendants.
C'est donc une réponse
adaptée à la réalité des DOM, où 95 % des entreprises ont moins de
11 salariés, avec un effectif moyen d'à peine deux salariés, ce qui relativise les
débats sur le délicat effet de seuil. Si chacune de ces entreprises créait ou
régularisait un emploi, 80 000 emplois seraient concernés. Voilà l'enjeu.
Au total, environ
115 000 salariés seront concernés par les exonérations, contre 44 000
aujourd'hui, et tous les employeurs et travailleurs indépendants, soit quelque
55 000 personnes, bénéficieront d'allégements substantiels de leurs charges.
J'ajoute que
le relèvement de 20 à 40 hectares pondérés de la limite pour les exonérations dont
les exploitants agricoles peuvent bénéficier accroîtra le nombre de bénéficiaires.
A travers ces
exonérations, la dimension « emploi » est fondamentale : c'est ma
priorité, et celle du Gouvernement. C'est pourquoi si le Gouvernement n'a pas voulu
assortir les exonérations de contrôles bureaucratiques, il a jugé nécessaire, de
prévoir une incitation supplémentaire qui sera fixée, par décret, à 9 000 francs
par an et par salarié, pour toutes les entreprises qui auront conclu un accord de
réduction du temps de travail selon les dispositions de la loi du 19 janvier 2000.
La quatrième limite
levée par le projet, c'est le niveau de l'exonération, fixée à 1,3 SMIC et non
plus à un SMIC. Ce relèvement renforcera la compétitivité des entreprises et leur
permettra d'embaucher du personnel qualifié.
Le financement de ces
mesures repose sur la solidarité nationale, ce qui tranche par rapport à la loi de 1994.
Le Gouvernement n'a pas voulu les faire payer par les consommateurs des DOM, avec cette
sorte de « TVA sociale ». Au contraire, il a réduit le taux de TVA d'un point
dans les DOM comme en métropole.
Le Gouvernement veut
également favoriser la création d'emplois et le développement des entreprises qui
diversifient leurs débouchés commerciaux, en particulier dans leur environnement
régional. Le précédent dispositif réglementaire, était tellement restrictif qu'il n'a
concerné qu'une dizaine d'entreprises, ce qui est d'autant plus regrettable que certains
de ces projets ont été très constructifs à Saint-Pierre-et-Miquelon notamment.
Le Gouvernement,
s'appuyant sur le rapport Thiel, veut aller beaucoup plus loin, et donner valeur
législative à un dispositif d'aide à la création d'emplois. Ce dispositif a été
notifié à Bruxelles. Le niveau des primes sera fortement revalorisé, et le seuil
d'entrée sera abaissé de 70 % à 20 %.
Les articles 5 et 6
prévoient en outre, pour toutes les entreprises de bonne foi et dès l'entrée en vigueur
de la loi d'orientation, la possibilité de demander et d'obtenir de plein droit un
moratoire de six mois sur le paiement de leurs dettes fiscales et sociales antérieures au
1er janvier 2000, période au cours de laquelle un plan d'apurement
pourra être signé avec les administrations compétentes, les procédures de recouvrement
étant suspendues. Nous préciserons les modalités de ce dispositif lors de l'examen des
articles.
Cet effort sans
précédent est destiné à lutter contre le chômage. Certes, dans les derniers mois, une
stabilisation et parfois un léger recul du nombre des demandeurs d'emploi ont été
constatés. La situation n'en demeure pas moins inacceptable : alors que le taux de
chômage en métropole est sur le point de passer sous la barre des 10 %, le taux de
chômage est toujours de 26 % en Guyane, de l'ordre de 30 % aux Antilles et
même de 37 % à la Réunion.
La principale cause du
chômage dans les départements d'outre-mer tient à leur structure démographique,
notamment à la Réunion, où le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans est de
plus de 61 %. 35 % des habitants des départements d'outre-mer ont moins de
20 ans, proportion de dix points supérieurs à celle de la métropole.
Cette situation
justifiait une application marquée du dispositif des emplois-jeunes. Au 31 décembre
1999, 11 000 emplois-jeunes ont aussi été créés dans les départements
d'outre-mer, dont plus de la moitié dans le seul département de la Réunion. Mais
l'ampleur du défi appelle des mesures supplémentaires. Tel est l'objet de
l'article 9 qui fonde un deuxième axe essentiel : offrir à chaque jeune des
départements d'outre-mer une chance réelle de s'insérer durablement sur le marché du
travail.
Cet article crée le
« projet initiative-jeune » qui prendra la forme d'une aide financière de
l'Etat. Son montant, qui sera fixé par décret, pourra atteindre 50 000 F par
projet. Pour en bénéficier, les jeunes âgés de 18 à 30 ans devront soit créer ou
reprendre une entreprise dans leur département, soit poursuivre à l'extérieur de
celui-ci une formation professionnelle proposée par l'agence nationale pour l'insertion
et la promotion des travailleurs d'outre-mer. Ce dispositif devrait concerner près de
10 000 jeunes par an.
Conformément aux
recommandations du rapporteur pour avis de votre commission des affaires culturelles,
M. Michel Tamaya, et du rapporteur pour avis de votre commission de la production,
M. Daniel Marsin, le Gouvernement a prévu un mécanisme de solidarité entre les
générations visant à encourager l'embauche des jeunes par le départ en préretraite
des salariés les plus âgés.
Inspirée des
propositions faites à la Réunion, cette possibilité sera ouverte à tous les salariés
du secteur privé âgés de 55 ans et justifiant d'au moins cinq ans d'ancienneté dans
l'entreprise et d'au moins dix années de cotisations retraite.
Un tel dispositif pèsera
sur le budget de l'Etat et c'est pourquoi, en 1994, le gouvernement de l'époque n'en
avait pas voulu. Cette mesure n'est envisageable que si, comme cela a été proposé à la
Réunion, les partenaires locaux -conseils régionaux et généraux ainsi que les
employeurs- apportent leur contribution.
Surtout, elle doit se
traduire de façon rapide et effective par des embauches de jeunes. Seules pourront donc
en bénéficier les entreprises qui, non seulement s'engageront à maintenir leurs
effectifs mais encore qui seront effectivement passées aux 35 heures.
Tel est le contenu de
l'amendement que je déposerai au nom du Premier ministre, qui a voulu que soit prise en
compte la situation démographique de l'outre-mer.
Ce projet de loi
d'orientation vise aussi à renforcer la lutte contre les exclusions. On connaît le
chiffre élevé d'attributaires du RMI : 126 000 foyers, soit 16 % de
la population, contre 3,3 % en métropole. Toutefois, la comparaison doit être
nuancée.
L'un des nombreux
mérites du rapport rédigé à ma demande par M. Bertrand Fragonard, ancien
délégué interministériel au RMI, aura été de montrer le rôle de substitut aux
allocations de chômage que joue le RMI dans les DOM.
Il ne faut pas nier, en
outre, l'importance du travail dissimulé, le RMI servant de couverture sociale. Nous
devons à la fois favoriser le retour à l'activité des allocataires du RMI, encourager
le travail déclaré et lutter plus efficacement contre les fraudes.
L'allocation de retour à
l'activité a pour objet de favoriser la réinsertion professionnelle des bénéficiaires
de minima sociaux, qui pourront cumuler pendant deux ans le bénéfice de cette allocation
avec une activité rémunérée en entreprise ou chez un particulier.
Le titre de travail
simplifié se substituera au chèque emploi-services, ce qui allégera considérablement
les formalités d'embauche. Ces dispositions ne produiront cependant leur plein effet que
si nous améliorons le contrôle du RMI et clarifions le rôle des organismes chargés de
la politique d'insertion.
La loi de lutte contre
les exclusions a transformé les agences d'insertion en établissements publics locaux et
l'article 12 en titre toutes les conséquences. Ne doivent accéder au RMI que ceux
qui y ont droit. L'agence d'insertion a un rôle central à jouer, en partenariat avec les
communes qui seront membres actifs des plans locaux d'insertion, pour mieux répondre aux
besoins des allocataires.
La revendication de
l'égalité sociale s'est exprimée avec force à la Réunion, au sujet de l'alignement du
RMI.
Le
Gouvernement juge légitime la revendication de l'égalité sociale et se refuse à
baptiser « assistance » ce qui en métropole est dénommé
« solidarité ». Il entend aussi que les mesures de retour à l'emploi,
d'insertion et de contrôle prennent leur plein effet. C'est pourquoi il avait
initialement proposé d'aligner le RMI en cinq ans et le montant de l'allocation de parent
isolé en sept ans. Votre commission des lois a proposé que l'alignement se fasse dès
promulgation de la loi d'orientation, ce qui pourrait contrarier la mise en _uvre de
mesures prises.
Le Gouvernement, soucieux
de supprimer les discriminations à bref délai, a choisi de se ranger à la proposition
de M. Daniel Marsin, tendant à ramener à trois ans le calendrier d'alignement du
RMI.
Je déposerai un
amendement dans ce sens. Cet alignement se fera en maintenant les crédits au bénéfice
du logement social qui étaient inclus dans la créance de proratisation. Le Gouvernement
a conscience de la nécessité de poursuivre l'effort en faveur du logement social, compte
tenu des retards existants.
Au-delà du financement
budgétaire, le Gouvernement a prévu de moderniser la politique du logement dans les
DOM : c'est l'objet du titre III.
Ainsi, il est prévu
qu'un fonds régional d'aménagement foncier et urbain soit créé dans chaque DOM, afin
d'accélérer les travaux nécessaires à la réalisation de gros équipements d'adduction
d'eau, d'épuration et d'assainissement et à la viabilisation des terrains, en
particulier au bénéfice du logement social.
Par ailleurs, les
barèmes de l'allocation logement applicables au secteur locatif seront unifiés d'ici le
1er juillet 2001, ce qui améliorera la solvabilité des locataires et
facilitera les opérations de réhabilitation des immeubles.
Affirmer les identités
des départements d'outre-mer, leur donner toute leur place dans notre pays et leur
permettre de s'inscrire dans leur environnement régional, tel est l'objet des titres IV
et V du projet.
Pour la première fois,
il est écrit dans un projet de loi que les langues en usage dans les DOM appartiennent au
patrimoine linguistique de la nation. A ce titre, elles bénéficieront d'un soutien
accru.
Mais valoriser les
cultures des DOM, dont chacun connaît la vitalité, suppose d'accroître leurs moyens de
développement. A ce titre, trois mesures essentielles vous sont proposées : la
réduction progressive des écarts de prix sur les biens culturels entre la métropole et
les DOM avec, en particulier, un alignement du prix du livre au 1er janvier
2002 ; le développement d'un dispositif de soutien à la production
cinématographique ; enfin, la création d'un fonds de promotion des échanges
éducatifs, culturels et sportifs.
L'identité des DOM
découle aussi de leur appartenance à un environnement régional comprenant des Etats
indépendants avec lesquels ils partagent une histoire. Favoriser leur insertion dans cet
environnement régional ne signifie nullement remettre en cause leur appartenance à la
République. Notre rayonnement, au contraire, n'en sera que plus grand.
Le projet tend aussi à
associer les exécutifs locaux à l'action internationale de la France dans leur
environnement régional. Dans les domaines de compétence de l'Etat, ces exécutifs
pourront recevoir le pouvoir de négocier et signer des accords au nom de la France. Ils
pourront aussi suggérer au Gouvernement de conclure des accords internationaux avec les
Etats de leur environnement.
Les DOM souhaitent depuis
longtemps pouvoir coopérer directement, et le plus librement possible, avec les Etats de
leur zone. Cette revendication s'est heurtée jusqu'ici à une fin de non recevoir. On ne
pouvait cependant continuer à limiter les relations internationales des DOM à la seule
coopération décentralisée, entre collectivités de même nature, comme le prévoit le
droit commun. C'est avec Sainte-Lucie ou Maurice que la Martinique ou la Réunion ont
besoin de coopérer, et non avec des collectivités locales.
Désormais, les conseils
généraux et régionaux des DOM pourront demander que leurs présidents puissent, dans
leurs domaines de compétence, négocier des accords internationaux avec les Etats de leur
environnement régional.
De même, la Guadeloupe,
la Martinique, la Guyane et la Réunion pourront demander à participer aux organisations
régionales existantes en tant que membres associés ou observateurs, dès lors que les
statuts de ces organisations le permettront.
Le
Gouvernement souhaite en conséquence renforcer les moyens de la coopération, en créant
des fonds qui seront cogérés par l'Etat et les assemblées locales. Ces fonds se
substitueront à ceux qui existent déjà pour la zone caraïbe.
Le Premier ministre avait
demandé à MM. Lise et Tamaya d'explorer des pistes en matière de
décentralisation. S'inspirant de leurs propositions, le projet tend à confier de
nouvelles responsabilités aux DOM.
Ainsi, les assemblées
locales pourront s'exprimer de manière plus systématique sur les textes qui les
concernent, tant pour les actes nationaux -projets de lois, d'ordonnances ou de décrets-
que pour les textes communautaires. Les modes de consultation seront harmonisés entre les
différentes assemblées.
En outre, la
spécificité des DOM justifie que de nouvelles compétences leur soient transférées.
Il en est ainsi des
routes nationales. Depuis plus de quinze ans, le financement et la maîtrise d'ouvrage
sont assurés par les régions. Certaines d'entre elles ont souhaité qu'un pas
supplémentaire soit franchi. Ce projet leur donne la possibilité, si elles le
souhaitent, que l'ensemble de la voirie classée « route nationale » soit
transféré dans leur patrimoine.
Dans le domaine de la
pêche également, le Gouvernement a souhaité confier aux régions les compétences qu'il
détient, sous réserve du droit communautaire et, bien sûr, des engagements
internationaux de la France.
De même, certains
départements peuvent fonder des espoirs sur l'exploitation des ressources minières du
sous-sol de la mer. Ce projet tend à confier aux régions les compétences de l'Etat en
matière d'exploration et d'exploitation des ressources non biologiques du fond de la mer
et de son sous-sol. Cette compétence s'exercera en particulier lors de l'octroi des
permis exclusifs et des concessions minières.
Là encore, les services
de l'Etat seront mis à disposition des régions pour l'exercice de cette compétence.
Les départements
d'outre-mer se caractérisent par une très forte concentration d'énergies renouvelables,
qu'elles soient d'origine géothermique, éolienne, solaire, ou obtenues par valorisation
de la biomasse, sans parler de l'énergie hydraulique. Il est donc légitime que les
régions interviennent directement dans l'exploitation de ces énergies et reçoivent la
responsabilité des programmes de prospection et de valorisation des ressources locales.
La politique de l'eau est
un enjeu majeur outre-mer, car les conflits d'intérêt sur son usage sont potentiellement
grands sur des territoires petits et très peuplés. Le projet prévoit donc, à l'instar
des agences de bassin métropolitaines, la création dans chacun des quatre DOM d'un
office de l'eau.
Le Gouvernement a
souhaité répondre favorablement au souhait général des élus locaux pour une plus
forte association des collectivités à la politique du logement social. Les conseils
généraux seront donc consultés sur les orientations générales de la programmation des
aides au logement social, et les conseils départementaux de l'habitat seront coprésidés
par le préfet et le président du conseil général.
Enfin, en Guadeloupe, la
position historique et géographique particulière des communes de Saint-Martin et
Saint-Barthélemy justifie qu'elles puissent bénéficier de responsabilités plus
directes dans la gestion de leurs collectivités.
La situation financière
des collectivités d'outre-mer est un objet de préoccupation. Les départements doivent
faire face à la croissance des dépenses sociales et absorber l'impact financier de
l'alignement du RMI. Il était donc essentiel d'améliorer la situation. En faveur des
communes, le projet prévoit une majoration à hauteur de 40 millions par an de la
dotation globale de fonctionnement. Quant aux départements, ils fixeront les taux des
droits de consommation sur les tabacs et ils percevront -ou continueront de percevoir,
dans le cas de la Guyane et de la Réunion- le produit de ce droit.
Conforter la
décentralisation exige également d'être attentifs à l'adaptation des structures
administratives aux besoins de l'aménagement du territoire, et à la nécessité de
rapprocher la décision du citoyen. De nombreux élus de la Réunion ont ainsi souhaité
qu'un second département soit créé dans leur île, avant la fin de la législature,
afin de prendre en compte les retards de développement et d'équipement de la partie sud.
Le Président de la République s'est prononcé à deux reprises en faveur d'une telle
réforme. Le Gouvernement s'y est également déclaré favorable. Mais les modalités
qu'il avait proposées, sur la base d'une concertation approfondie, ont reçu un avis
défavorable du conseil général comme du conseil régional. Toutefois, treize maires sur
vingt-quatre et sept des huit parlementaires que compte la Réunion ont réaffirmé leur
choix de la bidépartementalisation. Les discussions qui se sont poursuivies avec les
élus ont conduit le Gouvernement à valider le compromis qui a émergé localement sur
les limites territoriales des deux futurs départements. Ce nouveau découpage figure donc
à l'article 38 du projet. Le Gouvernement sera attentif aux propositions que lui
feront les parlementaires de la Réunion sur la date et les modalités de cette réforme.
Dans les trois autres
départements d'outre-mer, les débats sur l'évolution institutionnelle sont engagés
depuis longtemps. C'est l'objet du septième axe de ce projet.
Faut-il envisager dès à
présent de réviser l'article 73 de la Constitution ? Certains l'ont proposé. Cet
article a fait l'objet, en 1982, d'une interprétation restrictive du Conseil
constitutionnel, saisi à l'initiative d'une opposition peu différente de celle
d'aujourd'hui. Les institutions ont leurs contraintes. En Guyane, le 23 novembre 1997, le
Président de la République avait demandé qu'on exploite davantage la souplesse qu'offre
la Constitution et notamment son article 73, qui a prévu la possibilité d'adapter
aux réalités des départements d'outre-mer le régime législatif et l'organisation
administrative. « Cela est possible », affirmait-il. Le chef de l'Etat, à qui
appartient sur proposition du Premier ministre, concurremment aux membres du Parlement,
l'initiative en matière de révision constitutionnelle, ne semblait donc pas retenir
cette hypothèse, ce qui a conduit à chercher d'autres voies.
L'article 73 de la
Constitution regroupe dans une même catégorie juridique des entités géographiques,
humaines, culturelles bien différentes. C'est pourquoi, avant même d'envisager une
évolution institutionnelle, le Premier ministre a rappelé la nécessité de rompre avec
un traitement uniforme, négateur des identités et des aspirations. La démarche qui vous
est proposée se veut respectueuse de ces différences. Ainsi, le Gouvernement entend
prendre en compte le choix unanime des forces politiques et des élus de la Réunion qui
ont souhaité que ne soit pas modifié, pour leur île, le cadre juridique actuel défini
par l'article 73.
Dans les
départements français d'Amérique, le débat institutionnel a montré des aspirations
différentes, mais il a aussi fait apparaître des différences sensibles entre les points
de vue. Dans ces trois départements les lois de décentralisation ont institué deux
assemblées locales, le conseil régional et le conseil général, qui considèrent avoir
toutes deux le droit de débattre des questions statutaires. Je partage ce point de vue.
Il faut aussi que la population soit associée aux évolutions statutaires.
Dans ces départements,
un consensus peut se faire jour sur ces deux principes : permettre aux assemblées
locales de se saisir de la question statutaire, et donc de proposer des réformes allant
au-delà de la simple adaptation des lois et des règlements ; permettre aux
populations intéressées de se prononcer sur les orientations que retiendrait le
Gouvernement sur la base des propositions qui auront émergé localement. Si les
assemblées locales souhaitent débattre de la question institutionnelle, il est
préférable qu'elles commencent par le faire ensemble et non séparément. D'où la
proposition du congrès. Je vois trois raisons à sa création.
Tout d'abord on ne peut
exclure que figure, parmi les propositions qui émergeront au plan local, l'instauration
d'une assemblée unique. Déjà, des positions ont été prises en ce sens. Le
Gouvernement, quinze ans après la mise en _uvre de l'institution régionale, n'entend pas
trancher entre deux légitimités du suffrage universel. L'orientation vers une assemblée
unique aurait toutefois une toute autre résonance si elle avait pour fondement la
volonté conjointe des deux institutions actuelles. En second lieu, les populations
locales ne peuvent être consultées sur un projet d'évolution statutaire sans avoir
été éclairées par un débat local approfondi. C'est une exigence essentielle de
clarté et de loyauté dans toute consultation des populations. Enfin, l'évolution
statutaire, surtout lorsqu'elle implique une révision constitutionnelle, n'est concevable
que fondée sur un projet qui rassemble localement le plus grand nombre, transcendant les
clivages politiques traditionnels.
Cette approche sera
d'autant mieux comprise dans les départements français d'Amérique qu'ils ont déjà
commencé à la mettre en _uvre. Ce fut le cas en février 1999 en Guyane ; en
Martinique, les deux assemblées locales ont convenu de débattre ensemble de la question
statutaire ; en Guadeloupe, la présidente du conseil régional a proposé à son
homologue du conseil général la constitution d'une commission mixte.
Le choix du Gouvernement
est donc clair. Rompre avec une vision uniforme de l'outre-mer ; permettre, dans
l'avenir, une évolution statutaire dans chaque département d'outre-mer où elle
rencontrerait une aspiration claire et forte de la société ; créer un cadre
permettant, si tel est le souhait des élus, un débat local démocratique et
transparent ; permettre enfin aux populations de choisir.
Il n'y a plus sur la
question institutionnelle d'opposition, au plan national, entre la gauche et la droite.
Les récentes déclarations du Président de la République, le 11 mars en Martinique, en
attestent. S'inscrivant dans la démarche du Gouvernement -qu'avait rappelée le Premier
ministre lors de son précédent déplacement aux Antilles-, le chef de l'Etat a en effet
déclaré que l'évolution des règles statutaires était « dans la nature des
choses » et que « toutes les propositions, dès lors qu'elles ne mettent pas
en cause notre République et ses valeurs fondamentales sont recevables et
légitimes ». Mais il a aussi affirmé deux convictions. La première : la
politique de l'outre-mer ne peut plus « être appliquée de façon uniforme ».
Il a d'autre part souligné la nécessité que « toute modification statutaire
substantielle soit explicitement approuvée par les populations concernées ». Il
rejoignait, là le choix du Gouvernement de recueillir, préalablement à toute évolution
juridique, l'assentiment de ces populations.
Mesdames et Messieurs les
Députés, notre débat sur ce titre VII du projet ne sera pas seulement juridique, même
si le Gouvernement, fort des avis éclairés qu'il a pu obtenir, s'est bien sûr attaché
à ce que ses propositions soient compatibles avec nos règles constitutionnelles. Je
souhaite recueillir sur ce point un large assentiment de l'Assemblée nationale. Il
montrera à nos compatriotes des départements d'outre-mer qu'ensemble nous voulons qu'il
leur appartienne, à eux et à personne d'autre, de tracer leur avenir, et que cet avenir
ne sera plus dicté d'en haut, ni l'otage de nos querelles partisanes dans l'hexagone.
Enfin le huitième axe du
projet comprend des dispositions particulières à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il modifie la
loi du 11 juin 1985 afin de permettre la représentation des différentes composantes
politiques au sein du conseil général, et de confier aux deux communes des compétences
de droit commun en matière d'urbanisme et de fiscalité locale. En outre des amendements
du Gouvernement permettront de renforcer le système de protection sociale applicable à
Saint-Pierre-et-Miquelon.
Ce projet, par l'ampleur
des financements qu'il entend mobiliser après ceux, considérables, qui ont été
inscrits dans les contrats de plan Etat-région et dans les documents européens de
programmation, par les responsabilités accrues qui seront confiées aux élus, par les
possibilités qu'il offre à chaque département d'outre-mer de s'inscrire pleinement dans
la République, dans le respect de son identité et de ses aspirations, marquera une
étape historique : celle de la responsabilité, du développement et de l'identité.
Ces défis, je ne doute pas que les départements d'outre-mer sauront les relever (Applaudissements
sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).
M. Jérôme
Lambert, rapporteur de la commission des lois - Désireux de donner à
l'outre-mer un nouveau cadre législatif global, le Gouvernement a lancé il y a plusieurs
mois une large concertation avec tous les acteurs de l'outre-mer. Elle s'est appuyée sur
les rapports Mossé et Fragonard, mais aussi sur celui de MM. Lise et Tamaya, que
j'ai le plaisir de retrouver sur les bancs des rapporteurs, et sur le débat d'orientation
d'octobre 1998.
Trop souvent, les
clichés et les préjugés tiennent lieu de réflexion lorsque l'on parle de l'outre-mer.
Pourtant, ces collectivités posent des questions qui dépassent le cadre de pensée qui
est le nôtre, en métropole, et il faut chaque fois trouver un équilibre subtil entre le
respect des spécificités et l'insertion dans un ensemble plus vaste, porteur de ses
propres valeurs. Le présent projet de loi s'inscrit résolument dans cette perspective.
Comptant quarante deux
articles et traitant de neuf domaines, il a mobilisé trois commissions de notre
assemblée. Le travail de celle des lois a commencé bien en amont de l'examen des
articles puisqu'elle a conduit, il y a plusieurs mois, deux missions parlementaires, l'une
aux Antilles et en Guyane, l'autre dans l'Océan indien, à la Réunion. Nous avons alors
pu mesurer l'acuité particulière de certains problèmes, par rapport à la métropole,
et la spécificité de nombreux autres. Les Antilles, la Guyane et la Réunion,
connaissent le chômage et la précarité dans des proportions inquiétantes au regard de
nos critères métropolitains, et certaines conditions de vie ne rendent pas cela plus
facile à vivre, de sorte que nos concitoyens ont de plus en plus le sentiment d'être les
parents pauvres de la France. Ils nous demandent de leur donner les moyens de sortir d'une
économie qui les tient dépendants de la métropole et de quelques potentats. Nous devons
relever ces défis, avec eux. C'est l'objet des titres I et II qui traitent du
développement économique et de l'emploi, de l'égalité sociale et de la lutte contre
l'exclusion et que M. Tamaya présentera tout à l'heure plus avant, de même que le
titre IV, qui pose le droit au développement de la culture et des identités
ultra-marines.
Nos compatriotes
d'outre-mer nous demandent aussi d'assurer le respect de droits fondamentaux tels que le
droit au logement. Cela fait l'objet du titre III, qui sera présenté par
M. Marsin, qui a aussi particulièrement travaillé sur certains aspects du
titre VI, relatif à l'approfondissement de la décentralisation.
Tous les textes sur
l'outre-mer ont ceci en commun qu'ils mobilisent, plus qu'un texte ordinaire, un nombre
très important de parlementaires parfaitement au fait des questions soulevées. Croyez
votre rapporteur quand il vous dit que le travail en commission s'en trouve sensiblement
enrichi, en même temps que rendu plus délicat car il faut s'entendre avec des
partenaires particulièrement exigeants et vigilants ! Mais je ne me lasse pas
d'être à l'écoute de mes collègues d'outre-mer car ils apportent une vision
différente de celle que nous pouvons avoir dans nos propres circonscriptions. Pour faire
avancer le débat, je dois cependant formuler parfois des propositions qui tranchent avec
l'opinion de plusieurs d'entre eux. L'important est d'instaurer chaque fois un large et
franc dialogue, qui permette à chacun de faire valoir ses arguments. Aucune intervention
en commission n'a remis en question les grands principes qui sous-tendent ce texte, à
savoir la recherche de solutions spécifiques à des problèmes eux aussi spécifiques.
Mais de très nombreux amendements -près de 1 200 ont été présentés, dont
beaucoup se sont vu opposer le fameux article 40, cause de beaucoup de frustrations.
Mais les annonces que vient de faire le ministre, concernant en particulier la
préretraite ou le RMI, montrent que certaines propositions ont été entendues par le
Gouvernement, qui a toujours été tenu informé de l'évolution de nos débats.
Saisie de l'ensemble du
texte, la commission des lois a examiné tous les amendements déclarés recevables au
titre de l'article 40 -environ 500- mais comme elle ne souhaitait pas couvrir des
débats qui avaient pu se tenir dans les commissions saisies préalablement pour avis,
j'ai apporté, en tant que rapporteur, mon soutien de principe à tous les amendements qui
y avaient été adoptés, quitte à exposer en séance publique un point de vue personnel
sur certains d'entre eux.
J'en viens maintenant aux
dispositions qui ont fait l'objet d'une discussion sur le fond en commission des lois.
Au titre V,
l'article 22, insère dans le code général des collectivités locales cinq articles
portant sur les compétences reconnues en matière internationale aux conseils généraux
des départements d'outre-mer. L'intitulé du chapitre n'est pas neutre puisqu'il ancre
ces nouvelles compétences dans l'environnement régional des DOM. Il ne s'agit donc
pas de conférer à ces départements un pouvoir général de substitution à l'Etat mais
de leur permettre de prendre des initiatives, de développer des contacts, d'assister et
d'éclairer notre diplomatie dans ces régions, tout en veillant à la prise en compte des
intérêts des populations. De fait,
l'ouverture vers l'extérieur est un enjeu majeur de ce projet, étant entendu que la
recherche d'un meilleur développement passe par des relations suivies et dynamiques avec
le voisinage. Dans le cadre de l'examen de cet article, la commission des lois a dû
rejeter plusieurs amendements qui présentaient un caractère anticonstitutionnel, mais
elle en a aussi adopté plusieurs autres qui précisent le cadre de ces nouvelles
prérogatives.
Toujours au titre V,
l'article 23 insère six nouveaux articles dans le code général des collectivités
territoriales. Les cinq premiers confèrent au conseil régional les mêmes prérogatives
que celles reconnues au conseil général. Le sixième institue trois fonds de
coopération régionale, un pour les Antilles, un pour la Guyane et un pour la Réunion.
Alimentés par des crédits de l'Etat, ces fonds peuvent recevoir des dotations du
département, de la région ou de tous autres collectivité ou organisme publics. La
commission des lois a adopté un amendement du Gouvernement, qui avait été
préalablement présenté par un parlementaire puis retiré au titre de l'article 40,
instituant quatre fonds au lieu de trois afin que chaque région des Antilles -Guadeloupe
et Martinique-puisse disposer du sien.
La commission des lois a
aussi adopté un article additionnel à l'article 23, précisant que le Gouvernement
devra communiquer chaque année aux conseils généraux et régionaux de chaque région
ultra-périphérique française les conventions fiscales conclues entre l'Etat et les pays
de la zone géographique respective de chaque région et département d'outre-mer.
Au titre VI, la
commission des lois a eu à examiner l'article 24 qui introduit un nouveau chapitre
composé de trois articles au sein du code général des collectivités territoriales. Le
premier ramène à un mois le délai maximum accordé aux conseils généraux pour donner
un avis au Gouvernement dans le cadre de la procédure de consultation relative aux
mesures d'adaptation législatives, prévues par l'article 73 de la Constitution. Il
dispose qu'en l'absence d'avis dans le délai imparti, l'accord est réputé acquis.
Le deuxième comble un
vide juridique en donnant aux conseils généraux un pouvoir d'initiative jusqu'alors
réservé aux seuls conseils régionaux : celui de présenter des propositions de
modification des dispositions législatives et réglementaires en vigueur et de formuler
toutes remarques et suggestions relatives au fonctionnement des services publics de l'Etat
dans le département.
Le troisième permet aux
conseils généraux d'être consultés par le ministre chargé des DOM sur les
propositions d'actes communautaires ou de formuler des propositions en la matière.
Par ailleurs,
l'article 24 harmonise des dispositions applicables aux conseils généraux et aux
conseils régionaux des DOM en matière de consultation et d'initiative.
La commission des lois a
adopté un article additionnel tendant à ce que les conseils régionaux soient consultés
en matière de concessions portuaires et aéroportuaires.
Elle a ensuite modifié
l'article 33, qui majore de 40 millions la DGF pour les communes des
départements d'outre-mer, en proposant de porter cette somme à 250 millions. J'y
reviendrai lors de la discussion des articles.
Souhaitant trouver des
ressources nouvelles pour les collectivités locales, la commission a adopté un article
additionnel à l'article 33, instaurant, comme le proposaient nos collègues Lise et
Tamaya, un prélèvement sur le produit des jeux, ce qui sera nouveau dans les
départements d'outre-mer.
L'article 34 concerne
l'affectation des ressources du fonds régional pour le développement et l'emploi.
Actuellement, seules les communes peuvent en bénéficier sous la forme de subventions
arrêtées par le conseil régional dans le but de faciliter l'implantation d'entreprises
et de créer des emplois dans le secteur productif. Le projet de loi permettra à de
nouvelles collectivités, comme les EPCI, de recevoir des subventions au titre de ce
fonds, financé par l'octroi de mer. Il autorisera également l'attribution de subventions
destinées à financer les infrastructures publiques nécessaires au développement des
entreprises.
La commission a
examiné plusieurs amendements à l'article 34. Elle en a rejeté un, tendant à obliger
les collectivités territoriales de la Réunion à titulariser dans les mêmes conditions
statutaires qu'en métropole, tous leurs agents non titulaires. Nous avons toutefois
convenu que les questions relatives à la
fonction publique dans les DOM feraient l'objet d'un débat global en commission avec
M. Sapin.
L'article 35 précise les
règles applicables pour fixer le taux des droits sur les tabacs. Certains craignent que
de trop importantes distorsions de prix n'aboutissent au développement d'un marché
parallèle du tabac. Le Gouvernement pourra-t-il nous dire si cette crainte est
fondée ?
La commission a adopté
un article additionnel à l'article 34 autorisant les communes concernées à percevoir
une redevance sur les sites géothermiques. Elle a aussi, après l'article 37,
adopté un amendement permettant aux communes balnéaires d'instituer une taxe sur le
transport de passagers par voie maritime.
L'article 36 donne à la
commune de Saint-Barthélemy, après délibération de son conseil municipal, la
possibilité de percevoir une taxe de séjour sur les nuitées hôtelières et une taxe
additionnelle sur les certificats d'immatriculation, à l'instar de celle en vigueur à
Saint-Martin. Permettez-moi de dire ici que les dispositions relatives à ces deux
collectivités sont en-deçà des réponses qu'appellent leurs situations particulières,
d'ailleurs assez différentes l'une de l'autre. Saint-Martin n'occupe qu'une partie du
territoire d'une île à moitié hollandaise mais en fait quasiment indépendante. Pour ma
part, je souhaite que la réflexion du Gouvernement et de tous les acteurs locaux
progresse encore. Saint-Martin se trouve à 200 km de la Guadeloupe, c'est-à-dire
somme toute dans la même situation vis-à-vis de sa région de rattachement que la Corse
par rapport au continent... Cela mérite réflexion.
Saint-Barthélemy,
ancienne possession suédoise, rétrocédée à la France sur la base d'un traité,
toujours opposé pour faire valoir des exonérations fiscales, entre autres, se trouve
dans une situation différente, mais elle aussi n'ayant que peu à voir avec celle de la
Guadeloupe. Des mesures propres à la Guadeloupe peuvent ne pas répondre aux besoins de
développement de cette petite île à l'économie tout à fait différente. Là aussi, je
souhaite que la réflexion commune sur l'avenir de Saint-Barthélémy progresse.
L'article 38 crée deux
départements à la Réunion. Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours du débat. Un
groupe de l'opposition a déposé un amendement tendant à rejeter cette création. Pour
sa part, la commission a adopté l'article proposé par le Gouvernement sans l'amender.
Toutefois, il est possible qu'au cours du débat, je soutienne des propositions tendant à
préciser le texte du Gouvernement
L'article 39 a trait à
la création d'un congrès dans les régions monodépartementales d'outre-mer.
La commission a
commencé par rejeter un amendement visant à supprimer cette disposition très attendue
du projet. L'article ayant été maintenu, elle a ensuite examiné la trentaine d'autres
amendements, en adoptant certains, en rejetant d'autres, plus nombreux. Ensuite,
conformément à la procédure parlementaire,
le président a mis aux voix l'article ainsi amendé, qui a été repoussé, par quatre
voix contre trois.
La commission ayant
rejeté l'article ainsi amendé, nous débattrons en séance publique de l'article initial
du Gouvernement. Plusieurs amendements ont été déposés sur ce texte, lesquels ont tous
été repoussés ce matin par la commission qui les examinait selon les dispositions de
l'article 88. Quand nous y reviendrons, je souhaite un débat sans arrière-pensée. Ainsi
pourrons-nous adopter des dispositions très attendues par nos compatriotes, de même que
par, si je l'ai bien compris, le Président de la République. Nos compatriotes veulent
que le cadre institutionnel des départements d'outre-mer qui le souhaiteraient puisse
évoluer à travers des modalités de consultation précisément prévues à cet article
39.
Le titre VIII concerne
Saint-Pierre-et-Miquelon. Il prévoit l'application de certaines dispositions du texte à
l'archipel et modifié l'organisation politique et administrative de cette collectivité
ainsi que l'exercice de la protection sociale.
Le titre IX institue une
commission des comptes économiques et sociaux et de suivi de la présente loi
d'orientation auprès du ministre chargé de l'outre-mer. La commission a adopté un
amendement relatif à un examen particulier des aides à l'emploi, ainsi que d'autres
créant un observatoire des prix à la Réunion ou bien encore tendant à la suppression
de la prime d'éloignement. Nous aurons l'occasion de revenir sur tous ces points.
Bien que j'aie voulu cet
exposé le plus complet possible, je suis à coup sûr passé rapidement sur des questions
que certains d'entre vous peuvent, à juste titre, juger importantes. Je me limite ici à
dire que la commission des lois a voté le projet amendé. Je souhaite que ce débat soit
l'occasion d'examiner tous les problèmes, même si certains, comme celui posé par les
mesures en faveur de l'investissement outre-mer, devront être examinés ultérieurement.
Je sais les
préoccupations de nos collègues d'outre-mer. Je sais aussi leur esprit de
responsabilité et je me félicite d'avoir à travailler avec eux sur ce texte, attendu
par nos compatriotes d'outre-mer (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste
et du groupe communiste).
M. Michel
Tamaya, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et
sociales - Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre
proposait aux Français la mise en _uvre d'un pacte républicain pour un développement
durable et solidaire qui s'adressait aux Français de métropole, comme à ceux
d'outre-mer.
Après la
Nouvelle-Calédonie, la Polynésie, Mayotte, c'est aux DOM et à Saint-Pierre-et-Miquelon
que le Gouvernement s'adresse aujourd'hui en proposant un projet de loi d'orientation dont
l'objectif premier est le développement durable et la création d'emplois.
Nous allons pendant deux
jours examiner les propositions que le Gouvernement a imaginées face à une situation que
tous les députés domiens ont décrite à l'occasion de la loi de finances comme
particulièrement préoccupante. Ces propositions se veulent ambitieuses, exceptionnelles
parfois... et pourtant, le compte n'y est pas !
Alors que la situation
générale s'améliore de façon constante en métropole depuis 1997, tel n'est pas le cas
outre-mer.
Tout d'abord, les DOM
connaissent une démographie soutenue : leur population représentait en 1999
2,5 % de la population française, avec un taux d'évolution annuelle de deux à dix
fois celui de la métropole.
Le chômage et
l'exclusion y atteignent des niveaux record. Alors qu'en métropole le chômage recule, on
prévoit, au mieux, outre-mer, de le stabiliser à des taux 2,5 à 3,5 fois supérieurs à
celui de la métropole : 27 % en Guyane, 29 % en Guadeloupe, 30 % en
Martinique, 37 % à la Réunion !
Quant au nombre de
bénéficiaires du RMI, il a encore progressé cette année de 7 %. A cela s'ajoute
une conjonction de retards structurels que reconnaît expressément l'article 299-2 du
traité de l'Union européenne.
C'est à la lumière de
ces indicateurs préoccupants que notre commission a examiné les titres I, II et IV
du présent projet qui lui étaient soumis pour avis.
Il lui a paru justifié
sur le plan politique que l'on donne la priorité à ces titres consacrés au
développement économique et à l'emploi, à l'égalité sociale et à la lutte contre
l'exclusion, au développement de la culture et des identités d'outre-mer.
Je souhaite dire mon
accord sur les deux axes stratégiques retenus par le Gouvernement pour lutter contre le
chômage et l'exclusion.
Le premier
vise à diminuer sensiblement le coût du travail pour les petites entreprises de moins de
11 salariés, quel que soit leur secteur d'activité, les entreprises des secteurs
exposés à la concurrence extérieure, quel que soit leur effectif, les entreprises
enfin, qui, pour échapper à l'étroitesse des marchés domiens, diversifient leurs
débouchés commerciaux à l'extérieur.
Le second concerne les
publics prioritaires. Tout d'abord, les jeunes, chez qui le chômage frappe deux fois plus
qu'en métropole : le projet veut aider leur formation, leur mobilité et leur
emploi. Ensuite les bénéficiaires du RMI, de l'allocation de solidarité spécifique, de
l'allocation de parent isolé, pour qui il s'agit de favoriser le retour à l'activité.
Des mesures
exceptionnelles sont également prévues : exonérations de cotisations sociales, plan
d'apurement des dettes sociales et fiscales, prime à la création d'emplois dans le
secteur « export ». Cela concernera neuf entreprises sur dix, et plus de
115 000 salariés.
Enfin, le projet
initiative-jeune, l'allocation de retour à l'activité, le titre de travail simplifié
pourraient bénéficier à 10 000 jeunes et à 10 000 allocataires de minima
sociaux.
Je souhaite dès
maintenant appeler votre attention ainsi que celle du Gouvernement sur deux points. Le
premier est la création d'un congé de solidarité visant à faciliter simultanément la
cessation d'activité des salariés âgés de plus de 55 ans et des embauches, adopté par
la commission. Le Gouvernement a l'intention de déposer un amendement sur ce sujet
important. Je l'en remercie.
S'agissant d'autre part
du soutien à l'investissement, je me réjouis, Monsieur le secrétaire d'Etat, que vous
ayez confirmé votre volonté de prendre rapidement des mesures.
Ce projet affirme
clairement la priorité donnée à l'achèvement du processus d'égalité sociale, en
organisant l'alignement sur la métropole du RMI et de l'allocation de parent isolé.
Pour le premier de ces
minima sociaux, l'alignement devrait, aux termes du projet, être effectué en trois ans
au lieu de cinq. C'est encore trop, beaucoup trop et la commission des affaires sociales a
donc adopté un amendement pour rendre la mesure d'effet immédiat.
Sa position a été
la même en ce qui concerne l'API, ce qui l'a conduite à se prononcer contre l'article 14
et à demander au Gouvernement de faire de
nouvelles propositions.
Hier, le Premier ministre
a assigné pour objectif prioritaire à la présidence française de l'Union européenne
de promouvoir le plein emploi d'ici à la fin de la décennie : c'est une ambition à
laquelle les DOM souhaiteraient pouvoir adhérer ! Or, il y a quelques semaines
seulement, le même Premier ministre a nommé notre ancien collègue Guy Hascoët
secrétaire d'Etat à l'économie solidaire : la création outre-mer d'un secteur de
ce genre y favoriserait, je pense, sinon le plein emploi, du moins la pleine activité.
Compléter le projet en ce sens pourrait susciter chez nous un espoir à la mesure des
ravages que font le chômage et l'exclusion. Les DOM pourraient même devenir des régions
pilotes de l'économie sociale et solidaire, et j'engage M. Hascoët à venir s'en
assurer sur place.
Au titre IV, nous avons
apprécié l'intention de valoriser les cultures et les identités de chacun de nos
départements : elle est conforme à la volonté de répondre à notre aspiration à
plus de responsabilité. Cependant, elle ne doit pas exclure une autre volonté, celle de
favoriser un égal accès à la culture et c'est pourquoi notre commission a souhaité
plus de volontarisme en matière d'enseignement. Il convient d'abord de revenir sur la
non-application de la loi Deixonne, ensuite d'étendre le principe d'égal accès aux
biens culturels, à la presse ainsi qu'à la télévision. Il est inacceptable que nos
concitoyens des DOM ne puissent recevoir intégralement les trois chaînes publiques
nationales, alors que le CSA a démontré que c'était techniquement possible. La
commission a par conséquent proposé que le Conseil supérieur soit chargé d'organiser
la continuité territoriale dans ce domaine, selon des modalités éventuellement
différenciées après consultation de chaque conseil régional -et sans remettre en
cause, comme certains pourraient le craindre, l'existence des stations de RFO.
Le coauteur du rapport
sur l'approfondissement de la décentralisation dans les DOM ne peut, d'autre part,
qu'être satisfait du double principe retenu en la matière dans ce projet.
Ce texte
concilie l'aspiration unanime à plus de responsabilité et le respect de l'identité de
chaque DOM, tout comme il tient compte de la spécificité de Saint-Pierre-et-Miquelon et
des particularités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.
S'agissant de la
Réunion, je me réjouis que soit proposée la création d'un second département, comme
M. Lise et moi-même l'avions souhaité. Ce qui serait étonnant en métropole ne
l'est pas dans le contexte géographique et démographique de notre île et la disposition
retenue par le Gouvernement après consultation et débats apparaît raisonnable et
équilibrée.
En revanche, je regrette
que la question des agents communaux non titulaires n'ait pas fait l'objet d'une
réflexion plus approfondie. J'ai cependant noté qu'elle pourrait être traitée dans le
volet du projet de modernisation sociale consacré à la lutte contre la précarité dans
la fonction publique : fort des assurances données par le Gouvernement et par le
président de la commission des lois, j'espère que nous saurons saisir l'occasion de
régler ce problème, en accord avec les communes et avec les organisation syndicales.
Pour les populations de
nos quatre départements et de Saint-Pierre-et-Miquelon, ce projet constituera un acte
majeur de la présente législature. Combinée aux actions en cours et à celles que j'ai
appelées de mes v_ux, la loi d'orientation viendra conforter la contribution de l'Union
européenne dans nos régions. Elle se devait d'être à la hauteur des principes
républicains qui guident le Gouvernement et je suis convaincu que les travaux
parlementaires sauront la rendre encore plus ambitieuse, novatrice et généreuse (Applaudissements
sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).
M. Daniel Marsin,
rapporteur pour avis de la commission de la production - Ce projet,
partiellement soumis pour avis à la commission de la production, vise à étendre aux
départements de la Réunion, de la Guyane, de la Martinique et de la Guadeloupe, le
« nouveau pacte républicain » et le « nouveau pacte de développement
et de solidarité » que le Premier ministre a proposé à l'ensemble des Français
lors de sa déclaration de politique générale, le 19 juin 1997. Le 23 octobre 1998,
lors de la journée consacrée à l'examen du budget et de la situation de l'outre-mer,
les élus de ces départements n'ont pas manqué de souligner qu'alors que la politique de
la gauche plurielle produisait des effets largement positifs en métropole, la situation
continuait à se dégrader dangereusement chez eux. En effet, en dépit de tout ce qui a
été fait depuis la loi d'assimilation du 19 mars 1946, les indicateurs économiques
et sociaux y restent alarmants. En Guadeloupe par exemple, le produit intérieur brut par
habitant ne représente qu'à peine plus de la moitié du PIB constaté au niveau
national.
Ces départements
souffrent de l'absence de politiques adaptées à leurs handicaps structurels tels que le
reconnaît le nouvel article 299-2 du traité de l'Union. Leurs difficultés économiques
sont encore aggravées par la concurrence de pays tiers qui fabriquent souvent les mêmes
produits et qui tient malheureusement de leur faible niveau de revenus et de protection
sociale des avantages comparatifs dissuadant d'investir ou d'acheter chez nous.
Les DOM semblent donc
être dans une impasse, celle du mal-développement. Ainsi, en Guadeloupe, le chômage
croît depuis ces deux dernières décennies au rythme d'un point en moyenne par an, pour
atteindre plus de 30 % aujourd'hui. Si la tendance se poursuivait, ce seraient en
2020, plus de 50 % de la population active, qui seraient touchés. Les jeunes, qui
représentent plus de 40 % de la population, sont particulièrement victimes de cette
panne économique et sociale, à la faveur de laquelle prospèrent délinquance, drogue et
violence. Et ce ne sont pas les mesures de prévention ou de répression qui inverseront
la tendance quand, comme en Guadeloupe, 42 000 personnes vivent avec
1 000 F de RMI par mois.
Ni les emplois aidés ni
les minima sociaux ne peuvent plus suffire. Il faut donner une vraie bouffée d'oxygène
à l'économie dans les DOM !
A l'exclusion par le
chômage s'ajoute l'exclusion par le logement. Une trop large fraction de nos populations
connaît encore des conditions d'habitat indignes. C'est dire que l'effort des pouvoirs
publics, déjà considérable, doit être accentué. Or les collectivités locales
manquent d'instruments financiers à la mesure des enjeux, notamment fonciers et urbains.
Mais le projet apporte sans doute sur ce point des réponses intéressantes.
C'est cette situation
complexe et fragile, que les élus des DOM ont décrite le 23 octobre 1998. Mes
collègues et moi-même, avons également mis l'accent sur la crise identitaire qui frappe
nos départements d'Amérique et sur l'aspiration de plus en plus marquée à aller plus
loin dans l'exercice de nos responsabilités sans pour autant remettre nécessairement en
cause notre appartenance à la République. Quant à nos amis de la Réunion, ils ont
quasi unanimement souhaité une réorganisation administrative de leur région, qui
devrait être découpée en deux départements.
Le gouvernement de Lionel
Jospin nous a écoutés et, surtout, nous a entendus. Dès le 23 octobre 1998,
le secrétaire d'Etat à l'outre-mer nous a annoncé une loi d'orientation qui répondrait
à nos attentes et pourrait inverser le cours des choses. Après un an et demi d'études
et de concertation, il nous soumet effectivement un projet qui ouvre des horizons
prometteurs. Comment ne pas le féliciter d'avoir tenu parole ?
Cette loi accorde
la priorité au développement économique, à la croissance et à l'emploi. Les mesures
prises pour solvabiliser les petites entreprises, pour abaisser le coût du travail et pour apurer les dettes sociales et fiscales,
sont de nature à relancer l'activité économique et faire baisser le chômage. Le même
effet peut être attendu de la mesure novatrice que constitue le projet
« initiative-jeune ». Nous devons tous, Etat et collectivités locales, agir
pour que nos jeunes compatriotes s'approprient réellement cette disposition et
contribuent effectivement à la création de richesses dans leur région.
Mais une plus grande
efficacité encore pourrait être atteinte. Je pense à quelques ajustements dans les
modalités d'éligibilité, aux mesures relatives à l'exonération des charges sociales,
notamment pour éviter l'effet de seuil, mais surtout à la mise en place d'un système
attrayant et donc efficace de préretraite contre embauche. Une telle mesure serait certes
coûteuse, mais l'ampleur du problème de l'emploi dans les DOM la justifie, et je compte
sur le Gouvernement pour prendre une initiative puisque les propositions parlementaires
sont tombées sous le coup de l'article 40.
Le Gouvernement a aussi
voulu, fort justement, progresser dans l'égalité sociale. Il l'a fait pour le revenu
minimum d'insertion, pour l'allocation pour parent isolé et pour l'allocation logement
dont le montant était jusqu'à présent inférieur à celui versé en métropole.
Ce sont des mesures
généreuses, conformes à l'idéal républicain, mais dont l'impact serait plus grand si
les délais de rattrapage étaient significativement réduits. Nous aurons l'occasion d'en
discuter pour, je l'espère, parvenir à un ajustement favorable à nos concitoyens
démunis.
Une autre question nous
préoccupe : celle des ressources des communes. Un effort a été fait, nous ne le
nions pas, mais 40 millions, c'est peu, et je souhaite que la navette donne le temps
de faire davantage.
Le projet qui nous est
soumis prend également en considération notre identité et notre aspiration à exercer
plus de responsabilité.
Ainsi, certaines
dispositions nous donnent les moyens de développer et d'assurer le rayonnement de nos
cultures, et d'autres nous permettent de mieux nous affirmer dans notre environnement
régional.
De même, pour les
transferts de compétences qui nous sont proposés, le rôle majeur de nos assemblées
locales dans l'orientation du développement durable et solidaire de nos régions est
consacré sans ambiguïté, et le sera davantage encore après l'adoption des amendements
que le Gouvernement voudra bien accepter.
Enfin, si longtemps
après les péripéties du projet présenté par M. Henri Emmanuelli en 1982, ce
texte reconnaît explicitement la possibilité, si les élus et les populations le
souhaitent, d'une évolution institutionnelle différenciée pour chacun des départements
d'outre-mer. Comment ne pas féliciter le secrétaire d'Etat et le Premier ministre pour
leur capacité d'écoute et de discernement, leur courage mais aussi leur lucidité
politique et leur attachement profond aux principes de la démocratie ?
Certains disent déjà
qu'il s'agit de procédures dilatoires, et que l'on pourrait aller plus vite. Telle n'est
pas mon opinion, et je souscris à la méthode proposée, considérant que le délai
dépendra avant tout des élus de chaque département et de leur capacité à construire
au plus vite un projet sinon consensuel, du moins largement majoritaire. Car il ne peut
s'agir du projet d'un groupe politique contre un autre, ni des élus contre la population,
ni d'une fraction de la population contre une autre, mais si une large majorité
s'exprime, les contingences institutionnelles ne pourront se mettre en travers d'une
volonté clairement dite.
Pour toutes ces raisons,
votre rapporteur pour avis, en introduisant le débat devant la commission de la
production, a considéré que ce texte va dans le bon sens et qu'il peut devenir une
grande loi, de portée historique majeure pour les départements d'outre-mer, comme pour
la France entière, si des amendements essentiels sont adoptés.
L'avis demandé à la
commission porte, d'une part, sur les articles 15 et 16 relatifs au droit au logement
et, d'autre part, sur les articles 25 à 32, qui concernent les transferts de
compétences dans le cadre de l'approfondissement de la décentralisation.
L'article 15
participe du renforcement de l'égalité sociale entre les citoyens des départements
d'outre-mer et ceux de la France
métropolitaine. Ainsi prévoit-il l'élargissement du champ et des barèmes de
l'allocation logement, qui seront dorénavant plus justes.
Ce processus passe aussi
par une action publique plus efficace en matière d'aménagement foncier et urbain.
L'article 16 créant un fonds régional permet de donner aux collectivités locales
l'outil qui leur manque aujourd'hui. Sans doute faudrait-il associer plus avant les
communes particulièrement concernées. Un amendement en ce sens a été déposé.
Votre rapporteur se
félicite aussi du renforcement très significatif des compétences des départements et
régions d'outre-mer : ainsi, le conseil régional voit son rôle moteur affirmé en
matière d'aménagement du territoire, de promotion de l'activité économique, de
protection de l'environnement et de gestion des ressources naturelles. Quant au conseil
général, son poids se renforce en matière d'habitat et de gestion de l'eau. Des
amendements ont été déposés qui visent à renforcer la responsabilité, en ces
matières, de ces instances et de leur président.
Enfin, les communes de
Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, compte tenu de leur situation particulière au sein
de l'archipel guadeloupéen, se voient transférer certaines compétences jusqu'ici
exercées par le département ou la région.
J'aurais certes
préféré traiter aussi des propositions d'ordre purement économique contenues dans le
texte, et notamment de celles qui traitent de la situation financière des entreprises et
de la réduction du coût du travail. J'approuve pour l'essentiel le travail accompli par
la commission des affaires familiales, mais je déposerai cependant des amendements à
titre personnel afin d'améliorer le dispositif de soutien à l'investissement qui doit,
c'est une priorité absolue, être défini et mis en place avant la fin 2000.
Enfin, l'épineuse
question des transports dans les départements français d'Amérique, non traitée dans ce
projet, devrait être réglée dans les meilleurs délais, sur la base des propositions
des groupes de travail locaux.
La commission de la
production a donné un avis favorable sur les dispositions dont elle était saisie d'un
projet dont l'outre-mer attend beaucoup, car il apporte des réponses concrètes à des
préoccupations quotidiennes de nos concitoyens mais qu'il répond aussi à leur quête de
dignité et d'identité. Les débats permettront d'améliorer encore le texte, qui ouvre
des perspectives en matière institutionnelle. A nous de les saisir (Applaudissements
sur les bancs du groupe socialiste).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ
M. le Président
- J'ai reçu de M. Philippe Douste-Blazy et des membres du groupe UDF une
exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4,
du Règlement. La parole est à M. Henri Plagnol, pour une durée qui ne peut
excéder 1 heure 30.
M. Henri Plagnol
- Je reprendrai à mon tour la belle phrase d'Aimé Césaire -« fraternité
agissante de cette France multiple et diverse »- qui résume bien la philosophie qui
a présidé à la création des départements d'outre-mer, en 1946. Plus de cinquante ans
après, la République n'a certes pas à rougir du bilan d'une départementalisation qui a
ancré en son sein des territoires qui lui sont, plus que jamais, attachés. Elle a permis
un rattrapage économique et social extraordinaire, qui n'était que justice, allant
jusqu'à la complète égalité sociale voulue par Jacques Chirac en 1995. Elle a
également permis, réussite incontestable, l'épanouissement de cultures originales dans
ces terres de métissage -pensons à l'apport extraordinaire à la littérature de notre
pays que sont les littératures antillaise et réunionnaise.
Cet effort conduit par
tous les gouvernements est d'autant plus remarquable que l'on ne peut méconnaître les
handicaps objectifs, déjà rappelés, que sont l'éloignement, l'insularité,
l'étroitesse des marchés locaux et la concurrence de pays proches dont l'économie
présente toutes les caractéristiques du sous-développement.
Mais ces succès ne
doivent pas dissimuler les graves difficultés économiques et sociales que connaissent
aujourd'hui les départements d'outre-mer, dont l'économie est trop tributaire des
revenus de transferts. L'essentiel des produits de consommation est encore importé, et le
coût de la production de la canne à sucre et de la banane pâtit de charges sociales qui
sont celles de pays développés. Comment, enfin, passer sous silence un taux de chômage
de quelque 30 %, bien supérieur encore à la Réunion, et qui ne montre aucune
tendance à la baisse ?
Il faut donc redéfinir
les voies du développement dans les DOM, en tenant compte à la fois des aspirations des
habitants et d'une situation mondiale qui n'a plus guère à voir avec celle qui
prévalait en 1946. Ce n'est plus, aujourd'hui, d'assimilation qu'il s'agit, mais de
concilier aspiration identitaire et désir de bénéficier des acquis de la métropole et
de l'Union européenne.
C'est à cette jauge
qu'il faut évaluer votre projet, Monsieur le ministre, projet curieusement dit
« d'orientation ». Pourquoi donc votre texte n'est-il pas un projet de
loi-programme, lui qui additionne des dispositions hétéroclites, voire baroques, où
chacun peut trouver son compte. Le groupe UDF soutient d'ailleurs bon nombre de
propositions, en particulier dans le domaine économique, mais l'ensemble ne donne pas
l'orientation qu'attendaient les populations concernées. Votre texte, en bref, n'est pas
à la hauteur des enjeux économiques, sociaux et institutionnels.
D'ailleurs, il n'a pas
soulevé l'enthousiasme, puisque seules deux des huit assemblées consultées l'ont
approuvé, ce qui est pour le moins paradoxal.
Vous vous consacrez en
priorité au volet économique et social, et vous présentez des dispositions
intéressantes, notamment celles qui prolongent le dispositif Perben, dont l'efficacité
n'est plus contestée. Nous nous réjouissons, d'ailleurs, que vous le repreniez à votre
compte et même l'élargissiez aux entreprises de moins de 11 salariés et à celles
qui sont exposées à la concurrence internationale. Tout ce qui peut contribuer à
alléger le coût du travail dans les DOM va dans le bon sens. Vous évoquiez un coût de
4 milliards par an : je ne discute pas ce chiffre.
Autre disposition
opportune, l'allocation de retour à l'activité s'inspire du revenu minimum d'activité
inauguré par notre ancien collègue Virapoullé.
La création d'un titre
de travail simplifié, qui n'est qu'une extension du chèque emploi-service, devrait
permettre de faire rentrer dans la légalité une partie de l'activité.
Ces mesures en faveur des
jeunes, notamment le « projet initiative-jeune », vont dans le bon sens. Il
faut encourager l'esprit d'entreprise dans ces départements où on a encore le culte de
l'emploi public.
L'idée de favoriser
l'emploi des jeunes par des préretraites avait été défendue par le Président de la
République à la Martinique. Tout ce qui facilite la relève des générations doit être
soutenu.
L'UDF, en outre, se
félicite que le projet s'applique aussi à la collectivité territoriale de
Saint-Pierre-et-Miquelon.
Pour autant, toutes ces
mesures ne révèlent pas « un modèle ambitieux de développement », pour
reprendre l'expression employée par Jacques Chirac à la Martinique.
Il faut même craindre
que certaines dispositions aient des effets pervers : ce sera le cas de l'alignement
du RMI. A la Réunion en effet, on compte déjà 70 000 allocataires.
De même, l'extension du
régime de l'allocation de parent isolé, si elle répond à un souci légitime de justice
sociale, risque de déstabiliser encore une cellule familiale déjà fragile dans ces
départements.
Surtout, ce projet manque
de mesures ambitieuses grâce auxquelles les DOM pourraient devenir compétitifs dans leur
environnement géographique et passer d'une logique d'assistance à une logique de
développement. Un mécanisme de défiscalisation leur est nécessaire. Je veux rendre
hommage à la loi Pons, dont nous avons pu mesurer l'efficacité. Mais, quinze ans après
son adoption, elle est aujourd'hui vidée de son contenu. Il est tout de même étonnant,
Monsieur le ministre, d'entendre dire que cette question est tellement importante qu'elle
ne figure pas dans votre loi d'orientation ! Prolongée provisoirement dans une loi
de finances, la loi Pons pourrait être revue par voie d'amendement, ou bien dans un autre
projet... Comment un dispositif aussi important pour l'économie des DOM peut-il ne pas
figurer dans ce projet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe
du RPR et du groupe DL)
On ne peut
que déplorer votre manque de courage s'agissant des primes des fonctionnaires, qui ont
créé dans les DOM une société à deux vitesses et font de la réussite aux concours
publics la seule ambition des jeunes. Vous n'abordez même pas le problème des primes
d'éloignement, alors que des députés de votre majorité vous y invitaient. Sur ce
sujet, d'innombrables rapports s'entassent déjà dans votre ministère. A quand des
dispositions qui donneront aux jeunes un autre horizon que la fonction publique et l'envie
de prendre en main leur destin, comme vous semblez le vouloir avec le « projet
initiative-jeune » ?
A lui seul, cependant, le
volet économique et social de ce projet ne justifierait pas une motion d'irrecevabilité.
Le plus grave, c'est le caractère lacunaire et incohérent du volet institutionnel.
Vous êtes, à cet
égard, très loin du rapport Lise-Tamaya. Que reste-t-il de cette grande ambition de
refonder le pacte unissant les DOM à la nation ? Uniquement les dispositions
relatives à l'action internationale : l'article 22, qui autorise les
présidents des conseils généraux et des conseils régionaux à négocier et à signer
des accords internationaux, et l'article 23, qui crée un fonds de coopération
géré par un comité tripartite réunissant des représentants de l'Etat, de la région
et du département.
Il est bon de développer
la coopération régionale et les élus de toutes les tendances le souhaitent. L'outre-mer
est la vitrine de notre pays sur tous les continents. Mais hors de la coopération, il ne
reste rien de vos ambitions initiales en matière institutionnelle.
Pourtant, ce ne sont pas
les propositions qui vous ont manqué. Les présidents de région de la Guadeloupe, de la
Martinique et de la Guyane ont souhaité une assemblée unique. Il était même proposé
que la Guyane devienne une collectivité territoriale particulière, aux compétences
élargies.
On ne peut dissocier
notre réflexion de celle qui porte sur les TOM. De plus en plus fréquemment, nous
allons à Versailles pour doter ces territoires de statuts sui generis.
Il est temps de poser le
problème du lien institutionnel entre la métropole et l'outre-mer, quitte à remettre en
cause certains de nos principes. Mais vous n'avez voulu mécontenter personne, parmi vos
amis du moins. C'est pourquoi vous allez greffer, sur un statut déjà rigide, des
dispositions nouvelles qui le rendront plus complexe encore, des dispositions au mieux
inutiles et peut-être dangereuses.
Je pense à votre idée
du « congrès » : le terme choisi laisse penser qu'il s'agit d'une
assemblée prestigieuse, qui aurait vocation à rebâtir les institutions locales. Or il
ne s'agit même pas d'une troisième assemblée, mais d'un conclave qui, deux fois par an
je crois, réunirait les conseillers généraux et régionaux de territoires si immenses
que leurs élus ne peuvent pas prendre seuls l'initiative de se rencontrer. Il leur faut
une loi ! Le congrès ferait des propositions en matière institutionnelle,
propositions qui seraient ensuite soumises au vote de chacune des deux assemblées. On
ignore d'ailleurs ce qui se passe si celles-ci émettent des avis contraires.
Que peut-il bien sortir
de cette création baroque qu'est votre congrès ? Vous avez même dû renoncer à
lui donner un caractère permanent, le Conseil d'Etat ayant estimé que la création d'une
telle assemblée aurait été contraire à l'article 73 de la Constitution.
Par ailleurs, comment
pourrait-on subordonner les assemblées départementale et régionale, qui tirent leur
légitimité du suffrage universel, à ce simple conclave, sans être en contradiction
avec l'article 72 de la Constitution ?
Le Conseil d'Etat vous a
obligé à reculer en catastrophe. Pour ne pas perdre la face, vous avez maintenu le
congrès, mais dans une version si peu crédible qu'en commission, l'amendement qui visait
à le supprimer a été voté (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).
Je vous suggère d'en profiter pour renoncer à cette mauvaise idée et vous donner le
temps d'une réflexion sérieuse, en vous inspirant du discours du Président Chirac à la
Martinique.
Si l'on
considère que votre congrès ne sert à rien, que reste-t-il du volet institutionnel,
hormis quelques très modestes transferts de compétences ? Il reste une disposition
dont on se demande ce qu'elle fait dans ce texte, qui a une vocation générale, alors
qu'elle vise un seul département : la bidépartementalisation de la Réunion. Cette
disposition est choquante, sur la méthode comme sur le fond, et entache gravement la
crédibilité de votre projet. Il y a d'abord une erreur de méthode, qui confine au
mépris envers les élus locaux de la Réunion : votre réforme a en effet été
rejetée par les deux assemblées locales ! Quel département métropolitain
accepterait d'être ainsi traité ? D'autant que vous retenez un calendrier
extraordinairement brutal : vous voulez que la réforme entre en vigueur, comme par
hasard, en 2002, bien peu de temps après l'élection de la moitié des conseillers
généraux en mars 2001. Est-il concevable, n'est-ce pas une forme de mépris, de
redécouper le territoire d'un département contre l'avis de l'assemblée départementale
elle-même ? Imagine-t-on une telle méthode dans les Pyrénées-Atlantiques, où
s'est exprimée la revendication d'un département basque ? Dans le
Nord-Pas-de-Calais, où le Valenciennois justifierait largement un département ? Qui
y procéderait à un redécoupage à la sauvette, sans tenir compte de l'avis des conseils
généraux ? D'autre part qui peut croire sérieusement que la création d'un
deuxième département contribuera efficacement au développement économique ?
M. Claude Hoarau
- Moi !
M. Henri Plagnol
- Qui croira qu'une administration de plus permettra le développement de la partie la
plus en retard de l'île ? Je ne résiste pas au plaisir d'évoquer un article paru
le 13 août 1981 dans le quotidien du parti communiste réunionnais. Il
combattait alors un projet de bidépartementalisation... proposé par la droite. Cet
article, plein de bon sens, parlait d'aberration économique, d'aberration administrative,
et de man_uvre politique. Il montrait qu'un tel projet produirait un renforcement du
secteur tertiaire et une augmentation du nombre des fonctionnaires, mais ne permettrait
nullement le développement.
Tout cela n'est pas moins
vrai aujourd'hui qu'en 1981. Pourquoi la Réunion serait-elle le seul territoire français
où l'on irait contre la logique du développement moderne, celle de la décentralisation,
de l'octroi de vraies responsabilités, et de la formation de grandes régions dans le
cadre de l'Europe ? La chance de la Réunion est d'être le seul département
européen de l'Océan Indien : quel besoin d'en créer un de plus ? Le
rééquilibrage économique ne passe pas par la création d'une administration de
plus : il passe par la volonté de l'Etat, dans un cadre contractuel, de privilégier
les parties du territoire, qui ont le plus besoin d'investissement et de création
d'emploi.
Ce qui est dommage,
finalement, c'est que vous avez manqué l'occasion de refonder le pacte entre la nation et
l'outre-mer, en dépassant la problématique de 1946, celle de l'assimilation. Le vrai
choix audacieux aurait été de nous proposer une réécriture du titre XII de la
Constitution, qui n'offre aujourd'hui d'autre alternative qu'entre le département
d'outre-mer et le territoire d'outre-mer. Il fallait imaginer un statut ouvert, permettant
des évolutions, répondant aux v_ux clairement exprimés des populations, et s'inscrivant
dans la nouvelle donne européenne et mondiale. Même la France s'inquiète aujourd'hui
des menaces que la globalisation fait peser sur l'identité culturelle. Dans chacune de
nos régions s'exprime une aspiration forte à retrouver ses racines, son histoire, son
génie propre, sa culture locale. C'est encore plus vrai dans les départements
d'outre-mer. Il faut épouser cette aspiration, avec deux principes forts, qu'a rappelés
le Président Chirac en Martinique.
M. André
Thien Ah Koon - Pourquoi le citez-vous, alors qu'il est pour la
bidépartementalisation ?
M. Henri Plagnol
- Il a été très prudent sur ce point, disant qu'il s'en remettait à l'avis des
Réunionnais. Deux principes donc. D'un côté, l'attachement sans compromis à la
République et à ses valeurs. Mais, de l'autre, pourquoi ne pas permettre à ceux des DOM
qui le souhaitent d'aller vers l'assemblée unique ? Il semble que des aspirations en
ce sens se font jour aux Antilles et en Guyane. Pourquoi au moins ne pas poser le
problème ? Mais la Réunion est très attachée au statut départemental. N'allons
pas y créer un second département si ce n'est pas le souhait des Réunionnais. Pourquoi
ne pas envisager l'attribution de certaines compétences législatives dans le cadre d'un
statut organique individuel, ce qui vous éviterait de modifier la Constitution chaque
fois qu'une évolution est souhaitable ? Enfin l'essentiel est que les départements
d'outre-mer soient étroitement arrimés à l'Europe. C'est leur chance. Depuis 1987 les
programmes POSEIDOM se sont considérablement renforcés. Vous avez rappelé l'article du
traité d'Amsterdam sur les régions ultra-périphériques : en tant que tels, les
départements d'outre-mer bénéficièrent d'adaptations permanentes tenant compte de leur
situation économique et sociale. C'est pour eux un instrument exceptionnel de
développement. Au moins sur ce point nous pouvons tous nous rassembler. C'est une
priorité pour la présidence française. L'appartenance de ces départements à la France
et à l'Europe est le meilleur atout pour leur développement. Saisissons l'occasion de ce
débat pour leur offrir un statut qui leur permettra d'épanouir leur génie propre, tout
en restant attachés à la France et à l'Europe (Applaudissements sur les bancs du
groupe UDF et sur quelques bancs du groupe du RPR).
M. le
Rapporteur - Nous venons d'assister à un détournement de procédure.
L'exception d'irrecevabilité a en effet pour objet de montrer le caractère
anticonstitutionnel de certaines dispositions d'un projet. Or M. Plagnol n'a pas fait
une telle démonstration. Il a dit beaucoup de choses -certaines fausses, d'ailleurs.
Ainsi je ne sais pas où il a vu, dans le projet, que le congrès se réunirait deux fois
par an. De même il est faux que la commission des lois ait voté l'amendement de
suppression de l'article 39 : elle l'a rejeté. Je pense que notre assemblée ne
votera pas l'exception d'irrecevabilité, car aucun des arguments de M. Plagnol ne
tend à établir l'inconstitutionnalité d'une quelconque disposition du projet.
M. le Secrétaire
d'Etat - Je me rappelle une autre exception d'irrecevabilité que M. Plagnol
avait défendue sur Mayotte. Il expliquait que la consultation prévue ne devait pas avoir
lieu, parce qu'inconstitutionnelle, mais qu'on pourrait la faire dans dix ans... Le groupe
UDF cultive le théâtre de l'absurde. Le Conseil constitutionnel ne l'avait d'ailleurs
pas suivi sur ce plan : s'il a annulé une mesure introduite par le Sénat, il a
maintenu tout le dispositif du Gouvernement. C'est Beckett qui règne ici, à travers
M. Plagnol ! Faute d'attendre Godot, nous attendions d'autres arguments.
L'exception
d'irrecevabilité tend à montrer l'inconstitutionnalité d'un texte et à fonder un
éventuel recours. Nous n'avons rien entendu de tel dans le discours de M. Plagnol.
Il a porté un jugement favorable sur certaines dispositions, critique sur d'autres, comme
c'est le rôle de l'opposition. Mais, en matière institutionnelle, je constate une
conversion foudroyante. En 1982, l'opposition a déféré au Conseil constitutionnel une
loi qui tendait à établir l'assemblée unique : je constate qu'elle s'y est
ralliée aujourd'hui. Vous allez jusqu'à dire, Monsieur Plagnol, qu'il faut un nouveau
cadre constitutionnel pour l'outre-mer. Quelle audace ! Mais vous vous insurgez quand
on vous propose une méthode qui réunit les deux légitimités démocratiques existantes,
le conseil général et le conseil régional. Entre elles pourtant, je n'entends pas
trancher : j'estime ne pas en avoir le droit. Nous proposons que la révision
éventuelle de la Constitution repose sur les propositions de ces institutions. Vous jugez
le congrès une idée baroque. Il n'en est rien : c'est là que se fera la rencontre
des projets de réforme des institutions de l'outre-mer. Il faut une institution qui permette cette rencontre.
Votre critique de la
bidépartementalisation n'a aucun fondement constitutionnel car il est bien dans les
pouvoirs du Parlement de modifier les limites d'un département existant.
Je décèle derrière
tout cela une pauvreté de projet et de proposition, comme si vous n'aviez plus de
doctrine sur l'outre-mer. D'ailleurs, la droite n'a fait que se rallier à la
départementalisation, qui fut d'abord défendue, en 1946, par des hommes de gauche tels
qu'Aimé Césaire, Gaston Monnerville et Raynaud Verges. Aujourd'hui, je ne sais dans quel
tohu-bohu institutionnel se trouve la droite pour refuser la bidépartementalisation à la
Réunion -alors que les élus de cette île et le Président de la République se sont
prononcés en sa faveur- et vouloir ailleurs mettre à mal l'article 73 de la
Constitution !
Bref, cette exception
d'irrecevabilité est irréaliste. C'est elle qui est irrecevable (Applaudissements sur
les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).
M. Elie Hoarau - L'exception
d'irrecevabilité de M. Plagnol contestait principalement l'article 38 du
projet, qui tend à créer deux départements à la Réunion. Cette mesure de
réorganisation administrative ne pose pas de problème de procédure ou de compétence.
D'ailleurs, la représentation nationale a déjà procédé à de telles réorganisations,
par exemple en Ile-de-France et en Corse. En fait, cette exception d'irrecevabilité est
une prise de position politique contre une réforme pourtant unanimement souhaitée par
les élus de la Réunion, y compris ceux appartenant à la formation politique de
M. Plagnol. Et d'ailleurs, si l'on aborde sereinement le sujet, loin de toute
considération politicienne, on voit bien que cette réorganisation administrative en deux
départements constitue une mesure de bon sens. Elle inscrit en effet la Réunion dans le
droit commun des régions pluridépartementales et répond aux exigences du développement
de l'île.
L'honnêteté voudrait
que l'on précise, Monsieur Plagnol, que si le conseil général de la Réunion a émis un
avis négatif sur le projet initial, ce n'est pas parce qu'il est contre la
bidépartementalisation -la majorité est pour- mais parce que les limites
départementales proposées ne lui semblaient pas satisfaisantes. Le Gouvernement a
d'ailleurs tenu compte de ces observations et a proposé d'autres limites.
Dans cette affaire, il
faut prendre en compte les données démographiques. En 1946, la Réunion comptait
250 000 habitants ; en 1990, 600 000 ; aujourd'hui, le seuil de
700 000 est franchi et d'ici 25 ans, la population atteindra probablement
le million.
De plus, la
tertiairisation de l'économie provoque une concentration des activités dans le nord de
l'île. Le nombre de chômeurs et de RMistes est deux fois plus élevé dans le sud que
dans le nord et le revenu des ménages y est beaucoup plus faible. C'est précisément
pour corriger ces déséquilibres et parce que nous ne voulons pas d'une Réunion à deux
vitesses que la création d'un deuxième département s'impose. Ce sera un facteur
puissant d'émergence de nouvelles activités ailleurs qu'à Saint-Denis...
M. Pierre
Méhaignerie - C'est fou d'entendre cela !
M. Elie
Hoarau - Cela créera une nouvelle dynamique comparable à celle qui a accompagné la
départementalisation de 1946.
La
bidépartementalisation ne coupera pas la Réunion en deux, elle ne divisera pas les
Réunionnais. Ce sont bien plutôt la persistance des déséquilibres actuels et le
sentiment d'injustice qu'ils engendrent qui sont sources de division. Offrir à tous de
mêmes chances de développement, n'est-ce pas la meilleure garantie de la cohésion, de
l'unité, du développement durable et solidaire de la Réunion ? Tel est le défi
que doit relever la bidépartementalisation...
M. le Président
- Je vais devoir vous interrompre.
M. Elie Hoarau -
...accompagnée de toutes les mesures économiques, sociales et culturelles nécessaires (Applaudissements
sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).
M. Louis Mermaz -
Cette motion d'irrecevabilité aura au moins permis d'engager le débat avec une certaine
énergie, mais je n'ai pas entendu jusqu'ici avancer une raison juridique de la voter. De
toute façon, la politique au sens noble du terme doit parfois primer sur les
considérations juridiques, si intéressantes soient-elles. Je veux dire par là que si
l'on apprenait aux Antilles ou à la Réunion qu'une motion de procédure a mis un terme
au débat que tout le monde là-bas attend et que finalement rien ne va se passer, on
s'étonnerait pour le moins... Nous sommes attendus et je suis sûr qu'un esprit
distingué comme M. Plagnol le comprend et ne sera guère marri de voir sa motion
repoussée. Il a qualifié le congrès de construction baroque, mais outre que le baroque
est une belle figure architecturale, l'important est plus le contenu que le contenant. En
l'occurrence, il s'agit de faire évoluer les institutions, de leur donner plus de
responsabilités. Tout le monde en sera plus heureux (Applaudissements sur les bancs du
groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).
M. Dominique
Bussereau - Le groupe Démocratie libérale a toujours été fermement opposé à la
bidépartementalisation : nous l'avions dit lors du débat d'orientation et je l'ai
répété plusieurs fois en commission des lois. J'aurai l'occasion d'expliquer pourquoi
plus tard. Pour le moment, je demande simplement que l'on ne nous fasse pas prendre des
vessies pour des lanternes. Le Gouvernement et certains éléments de sa majorité
plurielle ont fait le choix politique de créer un « bourg pourri », et ce à
quelques encablures des élections législatives, cantonales et présidentielles, ce qui
n'est pas dans la tradition républicaine. Ils apportent ainsi une réponse purement
politicienne à des problèmes économiques et sociaux qui appelleraient d'autres solutions. Pour toutes ces raisons, nous voterons l'exception
d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du
groupe du RPR).
M. Jacques
Brunhes - « Ainsi va le monde et il ne va pas bien », disait Brecht. On
pourrait le paraphraser à propos des DOM : ainsi vont les DOM et ils ne vont pas
bien. Mais voici que l'on nous présente un projet destiné à améliorer leur situation.
Voulez-vous qu'une motion de procédure empêche sa discussion ? Voulez-vous,
Monsieur Plagnol, que votre fixisme freine toute évolution ?
Moi qui faisais partie,
comme M. Bussereau, de la délégation parlementaire qui s'est rendue la Réunion, je
puis témoigner que certains de ceux qui s'opposent aujourd'hui à la
bidépartementalisation se déclaraient hier pour ! Mais l'important n'est pas là.
Ce qui compte aujourd'hui, c'est que nous allions de l'avant (Applaudissements sur les
bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).
M. Emile Blessig
- Il est un point sur lequel nous sommes tous d'accord : un dialogue doit
s'instaurer dans les DOM sur leur évolution institutionnelle. La question est de savoir
s'il faut pour ce faire créer une structure ad hoc, en l'espèce le congrès. Ce n'est
pas du « fixisme de pensée », Monsieur Brunhes, que d'engager le débat sur
ce point.
S'il existe une réelle
volonté d'avancer sur les questions de fond, il n'est pas besoin de structure
supplémentaire. Celle-ci, telle que prévue, n'est qu'un alibi pour gagner du temps.
Voilà la première raison pour laquelle nous voterons l'exception d'irrecevabilité.
La seconde a trait à la
bidépartementalisation de la Réunion. D'une part, les auteurs du projet semblent penser
que le cadre institutionnel peut infléchir le développement économique. D'autre part,
peut-on accepter qu'à moins d'un an d'élections cantonales, le Parlement modifie
sensiblement les limites d'un département sans l'accord explicite des assemblées
délibérantes de ce département ?
Pour ces deux raisons
donc, le groupe UDF votera l'exception d'irrecevabilité.
L'exception d'irrecevabilité, mise aux
voix, n'est pas adoptée.
La suite du débat est renvoyée à la
prochaine séance qui aura lieu ce soir à 21 heures.
La séance est levée à 19 heures 20.
Le Directeur du service
des comptes rendus analytiques,
Jacques BOUFFIER
© Assemblée nationale
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